... devons-nous croire que nous avons déchiffré la véritable stratégie de Dupin au-delà des trucs imaginaires dont il lui fallait nous leurrer? Oui sans doute, car si « tout point qui demande de la réflexion », comme le profère d'abord Dupin, « s'offre le plus favorablement à l'examen dans l'obscurité », nous pouvons facilement en lire maintenant la solution au grand jour. Elle était déjà contenue et facile à dégager du titre de notre conte, et selon la formule même, que nous avons dès longtemps soumise à votre discrétion, de la communication intersubjective : où l'émetteur, vous disons-nous, reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée. C'est ainsi que ce que veut dire « la lettre volée », voire «en souffrance », c'est qu'une lettre arrive toujours à destination.

(Guitrancourt. San Casciano. mi-mai. mi-août 1956.)

 

vers lecture par DWT

 

 

PRÉSENTATION DE LA SUITE


      Ce texte (Le séminaire sur « La Lettre volée»), à qui voulait y prendre un air de nos leçons, nous ne l'indiquâmes guères sans le conseil que ce fût par lui qu'on se fit introduire à l'introduction qui le précédait et qui ici va suivre.
   Laquelle était faite pour d'autres qui de cet air, sortaient d'en prendre.

   Ce conseil, d'ordinaire, n'était pas suivi: le goût de l'écueil étant l'ornement du persévérer dans l'être.
   Nous ne prenons ici en main l'économie du lecteur qu'à revenir sur l'adresse de notre discours et à marquer ce qui ne se démentira plus: nos écrits prennent place à l'intérieur d'une aventure qui est celle du psychanalyste, aussi loin que la psychanalyse est sa mise en question.
   Les détours de cette aventure, voire ses accidents, nous y ont porté à une position d'enseignement.
   D'où une référence intime qu'à d'abord parcourir cette introduction, on saisira dans le rappel d'exercices pratiqués en chœur.
   Ce n'est après tout que sur la grâce de l'un d'entre eux que l'écrit précédent raffine.
   On use donc mal de l'introduction qui va suivre, à la prendre pour difficile: c'est reporter sur l'objet qu'elle présente ce qui ne tient qu'à sa visée en tant qu'elle est de formation.
   Aussi bien les quatre pages qui pour certains font casse-tête, ne cherchaient-elles pas l'embarras. Nous y mettons quelques retouches pour ôter tout prétexte à se détourner de ce qu'elles disent.
   C'est à savoir que la mémoration dont il s'agit dans l'inconscient - freudien s'entend - n'est pas du registre qu'on suppose à la mémoire, en tant qu'elle serait la propriété du vivant.
   Pour mettre au point ce que comporte cette référence négative, nous disons que ce qui s'est imaginé pour rendre compte de cet effet de la matière vivante, n'est pas rendu pour nous plus recevable par la résignation qu'il suggère.
   Alors qu'il saute aux yeux qu'à se passer de cet assujettissement, nous pouvons, dans les chaînes ordonnées d'un langage formel, trouver toute l'apparence d'une mémoration : très spécialement de celle qu'exige la découverte de Freud.
   Nous irions donc jusqu'à dire que s'il y a quelque part preuve à faire, c'est de ce qu'il ne suffit pas de cet ordre constituant du symbolique pour y faire face à tout.
   Pour l'instant, les liaisons de cet ordre sont au regard de ce que Freud produit de l'indestructibilité de ce que son inconscient conserve, les seules à pouvoir être soupçonnées d'y suffire.
   (Qu'on se réfère au texte de Freud sur le Wunderblock qui là-dessus, comme bien d'autres, dépasse le sens trivial que lui laissent les distraits.)
   Le programme qui se trace pour nous est dès lors de savoir comment un langage formel détermine le sujet.
    
Mais l'intérêt d'un tel programme n'est pas simple: puisqu'il suppose qu'un sujet ne le remplira qu'à y mettre du sien.
   Un psychanalyste ne peut faire que d'y marquer son intérêt à mesure même de l'obstacle qu'il y trouve.
   Ceux qui y participent en conviennent, et même les autres l'avoueraient, interpellés convenablement: il y a là une face de conversion subjective qui n'a pas été pour notre compagnonnage sans drame, et l'imputation qui s'exprime chez les autres du terme d'intellectualisation dont ils entendent nous faire pièce, à cette lumière montre bien ce qu'elle protège.
   Aucun sans doute à se donner peine plus méritoire à ces pages, que l'un près de nous, qui enfin n'y vit qu'à dénoncer l'hypostase qui inquiétait son kantisme.
   Mais la brosse kantienne elle-même a besoin de son alcali. C'est la faveur ici d'introduire notre objecteur, voire d'autres moins pertinents, à ce qu'ils font chaque fois qu'à s'expliquer leur sujet de tous les jours, leur patient comme on dit, voire à s'expliquer avec lui, ils emploient la pensée magique.
   Qu'ils y entrent eux-mêmes par là, c'est en effet du même pas dont le premier s'engage pour écarter de nous le calice de l'hypostase, alors qu'il vient d'en remplir la coupe de sa main.
   Car nous ne prétendons pas, par nos a, b, g, d extraire du réel plus que nous n'avons supposé dans sa donnée, c'est à-dire ici rien, mais seulement démontrer qu'ils y apportent une syntaxe à seulement déjà, ce réel, le faire hasard.
   Sur quoi nous avançons que ce n'est pas d'ailleurs que proviennent les effets de répétition que Freud appelle automatisme.
   Mais nos  a, b, g, d ne sont pas sans qu'un sujet s'en souvienne, nous objecte-t-on. - C'est bien ce qui est en question sous notre plume: plutôt que de rien du réel, qu'on se croit en devoir d'y supposer, c'est justement de ce qui n'était pas que ce qui se répète procède.
   Remarquons qu'il en devient moins étonnant que ce qui se répète, insiste tant pour se faire valoir.
   C'est bien ce dont le moindre de nos « patients» en analyse témoigne, et dans des propos qui confirment d'autant mieux notre doctrine que ce sont eux qui nous y ont conduit: comme ceux que nous formons le savent, pour les maintes fois où ils ont entendu nos termes même anticipés, dans le texte encore frais pour eux d'une séance analytique.
   Or que le malade soit entendu comme il faut au moment où il parle, c'est ce que nous voulons obtenir. Car il serait étrange qu'on ne tende l'oreille qu'à l'idée de ce qui le dévoie, au moment qu'il est simplement en proie à la vérité.
   Ceci vaut bien de démonter un peu l'assurance du psychologue, c'est-à-dire de la cuistrerie qui a inventé le niveau d'aspiration par exemple, tout exprès sans doute pour y marquer le sien comme un plafond indépassable.
   Il ne faut pas croire que le philosophe de bonne marque universitaire soit la planche à supporter ce déduit.
   C'est là que de faire écho à de vieilles disputes d'École, notre propos trouve le passif de l'intellectuel, mais c'est aussi qu'il s'agit de l'infatuation qu'il s'agit de lever.
   Pris sur le fait de nous imputer une transgression de la critique kantienne indûment, le sujet bienveillant à faire un sort à notre texte, n'est pas le père Ubu et ne s'obstine pas.
   Mais il lui reste peu de goût pour l'aventure. Il veut s'asseoir. C'est une antinomie corporelle à la profession d'analyste. Comment rester assis, quand on s'est mis dans le cas de n'avoir plus à répondre à la question d'un sujet, qu'à le coucher d'abord? Il est évident qu'être debout n'est pas moins incommode.
   C'est pourquoi c'est ici que s'amorce la question de la transmission de l'expérience psychanalytique, quand la visée didactique s'y implique, négociant un savoir.
   Les incidences d'une structure de marché ne sont pas vaines au champ de la vérité, mais elles y sont scabreuses.

 

   INTRODUCTION

 
   La leçon de notre Séminaire que nous donnons ici rédigée fut prononcée le 26 avril 1955. Elle est un moment du commentaire que nous avons consacré, toute cette année scolaire, à l'Au-delà du principe de plaisir.
   On sait que c'est l'œuvre de Freud que beaucoup de ceux qui s'autorisent du titre de psychanalyste, n'hésitent pas à rejeter comme une spéculation superflue, voire hasardée, et l'on peut mesurer à l'antinomie par excellence qu'est la notion d'instinct de mort où elle se résout, à quel point elle peut être impensable, qu'on nous passe le mot, pour la plupart.
   Il est pourtant difficile de tenir pour une excursion, moins encore pour un faux-pas, de la doctrine freudienne, l'œuvre qui y prélude précisément à la nouvelle topique, celle que représentent les termes de moi, de ça et de surmoi, devenus aussi prévalents dans l'usage théoricien que dans sa diffusion populaire.
   Cette simple appréhension se confirme à pénétrer les motivations qui articulent ladite spéculation à la révision théorique dont elle s'avère être constituante.
   Un tel procès ne laisse pas de doute sur l'abâtardissement, voire le contresens, qui frappe l'usage présent desdits termes, déjà manifeste en ce qu'il est parfaitement équivalent du théoricien au vulgaire. C'est là sans doute ce qui justifie le propos avoué par tels épigones de trouver en ces termes le truchement par où faire rentrer l'expérience de la psychanalyse dans ce qu'ils appellent la psychologie générale.
   Posons seulement ici quelques jalons.
   L'automatisme de répétition (Wiederholungszwang), - bien que la notion s'en présente dans l'œuvre ici en cause, comme destinée à répondre à certains paradoxes de la clinique, tels que les rêves de la névrose traumatique ou la réaction thérapeutique négative - , ne saurait être conçu comme un rajout, fût-il même couronnant, à l'édifice doctrinal.
   C'est sa découverte inaugurale que Freud y réaffirme: à savoir la conception de la mémoire qu'implique son « inconscient ». Les faits nouveaux sont ici l'occasion pour lui de la restructurer de façon plus rigoureuse en lui donnant une forme généralisée, mais aussi de rouvrir sa problématique contre la, dégradation, qui se faisait sentir dès alors, d'en prendre les effets pour un simple donné.
   Ce qui ici se rénove, déjà s'articulait dans le « projet » 20 où sa divination traçait les avenues par où devait le faire passer sa recherche: le système \fi, prédécesseur de l'inconscient, y manifeste son originalité, de ne pouvoir se satisfaire que de retrouver l'objet foncièrement perdu.
   C'est ainsi que Freud se situe dès le principe dans l'opposition, dont Kierkegaard nous a instruits, concernant la notion de l'existence selon qu'elle se fonde sur la réminiscence ou sur la répétition. Si Kierkegaard y discerne admirablement la différence de la conception antique et moderne de l'homme, il apparaît que Freud fait faire à cette dernière son pas décisif en ravissant à l'agent humain identifié à la conscience, la nécessité incluse dans cette répétition. Cette répétition étant répétition symbolique, il s'y avère que l'ordre du symbole ne peut plus être conçu comme constitué par l'homme, mais comme le constituant.
   C'est ainsi que nous nous sommes senti mis en demeure d'exercer véritablement nos auditeurs à la notion de la remémoration qu'implique l'œuvre de Freud : ceci dans la considération trop éprouvée qu'à la laisser implicite, les données mêmes de l'analyse flottent dans l'air.
   C'est parce que Freud ne cède pas sur l'original de son expérience que nous le voyons contraint d'y évoquer un élément qui la gouverne d'au-delà de la vie - et qu'il appelle l'instinct de mort.
   L'indication que Freud donne ici à ses suivants se disant tels, ne peut scandaliser que ceux chez qui le sommeil de la raison s'entretient, selon la formule lapidaire de Goya, des monstres qu'il engendre.
   Car pour ne pas déchoir à son accoutumée, Freud ne nous livre sa notion qu'accompagnée d'un exemple qui ici va mettre à nu de façon éblouissante la formalisation fondamentale qu'elle désigne.
   Ce jeu par où l'enfant s'exerce à faire disparaître de sa vue, pour l'y ramener, puis l'oblitérer à nouveau, un objet, au reste indifférent de sa nature, cependant qu'il module cette alternance de syllabes distinctives, - ce jeu, dirons-nous, manifeste en ses traits radicaux la détermination que l'animal humain reçoit de l'ordre symbolique.
   L'homme littéralement dévoue son temps à déployer l'alternative structurale où la présence et l'absence prennent l'une de l'autre leur appel. C'est au moment de leur conjonction essentielle, et pour ainsi dire, au point zéro du désir, que l'objet humain tombe sous le coup de la saisie, qui, annulant sa propriété naturelle, l'asservit désormais aux conditions du symbole.
   À vrai dire, il n'y a là qu'un aperçu illuminant de l'entrée de l'individu dans un ordre dont la masse le supporte et l'accueille sous la forme du langage, et surimpose dans la diachronie comme dans la synchronie la détermination du signifiant à celle du signifié.
   On peut saisir à son émergence même cette surdétermination qui est la seule dont il s'agisse dans l'aperception freudienne de la fonction symbolique.
   La simple connotation par (+) et (-) d'une série jouant sur la seule alternative fondamentale de la présence et de l'absence, permet de démontrer comment les plus strictes déterminations symboliques s'accommodent d'une succession de coups dont la réalité se répartit strictement «au hasard ».
   Il suffit en effet de symboliser dans la diachronie d'une telle série les groupes de trois qui se concluent à chaque coup 21 en les définissant synchroniquement par exemple par la symétrie de la constance (+ + +, - - -) notée par ( 1) ou de l'alternance (+ - +, - + -) notée par (3), réservant la notation (2) à la dissymétrie révélée par l'impair 22 sous la forme du groupe de deux signes semblables indifféremment précédés ou suivis du signe contraire (+ - - ,  - + +, + + -, - - +), pour qu'apparaissent, dans la nouvelle série constituée par ces notations, des possibilités et des impossibilités de succession que le réseau suivant résume en même temps qu'il manifeste la symétrie concentrique dont est grosse la triade, - c'est-à-dire, remarquons-le, la structure même à quoi doit se référer la question toujours rouverte 23 par les anthropologues, du caractère foncier ou apparent du dualisme des organisations symboliques.

   Voici ce réseau :

   Réseau 1-3  : 

   Dans la série des symboles (1), (2), (3) par exemple, on peut constater qu'aussi longtemps que dure une succession uniforme de (2) qui a commencé après un (1), la série se souviendra du rang pair ou impair de chacun de ces (2), puisque de ce rang dépend que cette séquence ne puisse se rompre que par un (1) après un nombre pair de (2), ou par un (3) après un nombre impair.
   Ainsi dès la première composition avec soi-même du symbole primordial - et nous indiquerons que ce n'est pas arbitrairement que nous l'avons proposée telle -, une structure, toute transparente qu'elle reste encore à ses données, fait apparaître la liaison essentielle de la mémoire à la loi.
   Mais nous allons voir à la fois comment s'opacifie la détermination symbolique en même temps que se révèle la nature du signifiant, à seulement recombiner les éléments de notre syntaxe, en sautant un terme pour appliquer à ce binaire une relation quadratique.
   Posons alors que ce binaire: (1) et (3) dans le groupe [(1) (2) (3)] par exemple, s'il conjoint de leurs symboles une symétrie à une symétrie [(1) - (1)], (3) - (3), [(1) - (3)] ou encore [(3) - (1)], sera noté a, une dissymétrie à une dissymétrie (seulement [(2) - (2)]), sera noté g, mais qu'à l'encontre de notre première symbolisation, c'est de deux signes, b et d que disposeront les conjonctions croisées, b notant celle de la symétrie à la dissymétrie [(1) - (2)], [(3) - (2)], et d celle de la dissymétrie à la symétrie [(2) - (1 )], [(2) - (3)].
   On va constater que, bien que cette convention restaure une stricte égalité de chances combinatoires entre quatre symboles, a, b, g, d (contrairement à l'ambiguïté classificatoire qui faisait équivaloir aux chances des deux autres celles du symbole (2) de la convention précédente), la syntaxe nouvelle à régir la succession des a, b, g, d détermine des possibilités de répartition absolument dissymétriques entre a et g d'une part, b et d de l'autre.
   Étant reconnu en effet qu'un quelconque de ces termes peut succéder immédiatement à n'importe lequel des autres, et peut également être atteint au 4em temps compté à partir de l'un d'eux, il s'avère à l'encontre que le temps troisième, autrement dit le temps constituant du binaire, est soumis à une loi d'exclusion qui veut qu'à partir d'un a ou d'un d on ne puisse obtenir qu'un a ou un b , et qu'à partir d'un b ou d'un g, on ne puisse obtenir qu'un g ou un d. Ce qui peut s'écrire sous la forme suivante:

   où les symboles compatibles du 1er au 3em temps se répondent selon l'étagement horizontal qui les divise dans le répartitoire, tandis que leur choix est indifférent au 2em temps.
   Que la liaison ici apparue ne soit rien de moins que la formalisation la plus simple de l'échange, c'est ce qui nous confirme son intérêt anthropologique. Nous ne ferons qu'indiquer à ce niveau sa valeur constituante pour une subjectivité primordiale, dont nous situerons plus loin la notion.
   La liaison, compte tenu de son orientation, est en effet réciproque; autrement dit, elle n'est pas réversible, mais elle est rétroactive. C'est ainsi qu'à fixer le terme du 4em temps, celui du 2em ne sera pas indifférent.
   On peut démontrer qu'à fixer le 1er et le 4em terme d'une série, il y aura toujours une lettre dont la possibilité sera exclue des deux termes intermédiaires et qu'il y a deux autres lettres dont l'une sera toujours exclue du premier, l'autre du second, de ces termes intermédiaires. Ces lettres sont distribuées dans les deux tableaux W et O 24:

DWT : note à propos de cette figure

   dont la première ligne permet de repérer entre les deux tableaux la combinaison cherchée du 1er au 4em temps, la lettre de la deuxième ligne étant celle que cette combinaison exclut des deux temps de leur intervalle, les deux lettres de la troisième étant, de gauche à droite, celles qui respectivement sont exclues du 2em et du 3em temps.
   Ceci pourrait figurer un rudiment du parcours subjectif, en montrant qu'il se fonde dans l'actualité qui a dans son présent le futur antérieur. Que dans l'intervalle de ce passé qu'il est déjà à ce qu'il projette, un trou s'ouvre que constitue un certain caput mortuum du signifiant (qui ici se taxe des trois quarts des combinaisons possibles où il a à se placer 25), voilà qui suffit à le suspendre à de l'absence, à l'obliger à répéter son contour.
   La subjectivité à l'origine n'est d'aucun rapport au réel, mais d'une syntaxe qu'y engendre la marque signifiante.
   La propriété (ou l'insuffisance) de la construction du réseau des a, b, g, d est de suggérer comment se composent en trois étages le réel, l'imaginaire et le symbolique, quoique ne puisse y jouer intrinsèquement que le symbolique comme représentant les deux assises premières.


   C'est à méditer en quelque sorte naïvement sur la proximité dont s'atteint le triomphe de la syntaxe, qu'il vaut de s'attarder à l'exploration de la chaîne ici ordonnée dans la même ligne qui retint Poincaré et Markov.
   C'est ainsi qu'on remarque que si, dans notre chaîne, on peut rencontrer deux b qui se succèdent sans interposition d'un d, c'est toujours soit directement (bb) ou après interposition d'un nombre d'ailleurs indéfini de couples ag : (baga ... gb), mais qu'après le second b, nul nouveau b ne peut apparaître dans la chaîne avant que d ne s'y soit produit. Cependant, la succession sus-définie de deux b ne peut se reproduire, sans qu'un second d ne s'ajoute au premier dans une liaison équivalente (au renversement près du couple ag en ga) à celle qui s'impose aux deux b, soit sans interposition d'un b.
   D'où résulte immédiatement la dissymétrie que nous annoncions plus haut dans la probabilité d'apparition des différents symboles de la chaîne.
   Tandis que les a et les g en effet peuvent par une série heureuse du hasard se répéter chacun séparément jusqu'à couvrir la chaîne tout entière, il est exclu, même par les chances les plus favorables, que b et d puissent augmenter leur proportion sinon de façon strictement équivalente à un terme près, ce qui limite à 50 % le maximum de leur fréquence possible.
   La probabilité de la combinaison que représentent les b et les d étant équivalente à celle que supposent les a et les g - et le tirage réel des coups étant d'autre part laissé strictement au hasard -, on voit donc se détacher du réel une détermination symbolique qui, pour ferme qu'elle soit à enregistrer toute partialité du réel, n'en produit que mieux les disparités qu'elle apporte avec elle.
   Disparité encore manifestable à simplement considérer le contraste structural des deux tableaux W et O, c'est-à-dire la façon directe ou croisée dont le groupement (et l'ordre) des exclusions se subordonne en le reproduisant à l'ordre des extrêmes, selon le tableau auquel appartient ce dernier.
   C'est ainsi que dans la suite des quatre lettres, les deux couples intermédiaire et extrême peuvent être identiques si le dernier s'inscrit dans l'ordre du tableau O (tels aaaa, aabb, bbgg, bbdd, gggg, ggdd, ddaa, ddbb qui sont possibles), ils ne le peuvent si le dernier s'inscrit dans le sens W (bbbb, bbaa, ggbb, ggaa, dddd, ddgg, aadd, aagg impossibles).
   Remarques, dont le caractère récréatif ne doit pas nous égarer.
   Car il n'y a pas d'autre lien que celui de cette détermination symbolique où puisse se situer cette surdétermination signifiante dont Freud nous apporte la notion, et qui n'a jamais pu être conçue comme une surdétermination réelle dans un esprit comme le sien, - dont tout contredit qu'il s'abandonne à cette aberration conceptuelle où philosophes et médecins trouvent trop facilement à calmer leurs échauffements religieux.

 


   Cette position de l'autonomie du symbolique est la seule qui permette de dégager de ses équivoques la théorie et la pratique de l'association libre en psychanalyse. Car c'est tout autre chose d'en rapporter le ressort à la détermination symbolique et à ses lois, qu'aux présupposés scolastiques d'une inertie imaginaire qui la supportent dans l'associationnisme, philosophique ou pseudo-tel, avant de se prétendre expérimental. D'en avoir abandonné l'examen, les psychanalystes trouvent ici un point d'appel de plus pour la confusion psychologisante où ils retombent sans cesse, certains de propos délibéré.
   En fait seuls les exemples de conservation, indéfinie dans leur suspension, des exigences de la chaîne symbolique, tels que ceux que nous venons de donner, permettent de concevoir où se situe le désir inconscient dans sa persistance indestructible, laquelle, pour paradoxale qu'elle paraisse dans la doctrine freudienne, n'en est pas moins un des traits qui y sont le plus affirmés.
   Ce caractère est en tout cas incommensurable avec aucun des effets connus en psychologie authentiquement expérimentale, et qui, quels que soient les délais ou retards à quoi ils soient sujets, viennent comme toute réaction vitale à s'amortir et à s'éteindre.
   C'est précisément la question à laquelle Freud revient une fois de plus dans l'Au-delà du principe de plaisir, et pour marquer que l'insistance où nous avons trouvé le caractère essentiel des phénomènes de l'automatisme de répétition, ne lui paraît pouvoir trouver de motivation que prévitale et transbiologique. Cette conclusion peut surprendre, mais elle est de Freud, parlant de ce dont il est le premier à avoir parlé.
   Et il faut être sourd pour ne pas l'entendre. On ne pensera pas que sous sa plume il s'agisse d'un recours spiritualiste: c'est de la structure de la détermination qu'il est ici question. La matière qu'elle déplace en ses effets, dépasse de beaucoup en étendue celle de l'organisation cérébrale, aux vicissitudes de laquelle certains d'entre eux sont confiés, mais les autres ne restent pas moins actifs et structurés comme symboliques, de se matérialiser autrement.
   C'est ainsi que si l'homme vient à penser l'ordre symbolique, c'est qu'il y est d'abord pris dans son être. L'illusion qu'il l'ait formé par sa conscience, provient de ce que c'est par la voie d'une béance spécifique de sa relation imaginaire à son semblable, qu'il a pu entrer dans cet ordre comme sujet. Mais il n'a pu faire cette entrée que par le défilé radical de la parole, soit le même dont nous avons reconnu dans le jeu de l'enfant un moment génétique, mais qui, dans sa forme complète, se reproduit chaque fois que le sujet s'adresse à l'Autre comme absolu, c'est-à-dire comme l'Autre qui peut l'annuler lui-même, de la même façon qu'il peut en agir avec lui, c'est-à-dire en se faisant objet pour le tromper. Cette dialectique de l'intersubjectivité, dont nous avons démontré l'usage nécessaire à travers les trois ans passés de notre séminaire à Sainte-Anne, depuis la théorie du transfert jusqu'à la structure de la paranoïa, s'appuie volontiers du schéma suivant :


   désormais familier à nos élèves et où les deux termes moyens représentent le couple de réciproque objectivation imaginaire que nous avons dégagé dans le stade du miroir.
   La relation spéculaire à l'autre par où nous avons voulu d'abord en effet redonner sa position dominante dans la fonction du moi à la théorie, cruciale dans Freud, du narcissisme, ne peut réduire à sa subordination effective toute la fantasmatisation mise au jour par l'expérience analytique, qu'à s'interposer, comme l'exprime le schéma, entre cet en-deçà du Sujet et cet au-delà de l'Autre, où l'insère en effet la parole, en tant que les existences qui se fondent en celle-ci sont tout entières à la merci de sa foi.
   C'est d'avoir confondu ces deux couples que les légataires d'une praxis et d'un enseignement qui a aussi décisivement tranché qu'on peut le lire dans Freud, de la nature foncièrement narcissique de toute énamoration (Verliebtheit), ont pu diviniser la chimère de l'amour dit génital au point de lui attribuer la vertu d'oblativité, d'où sont issus tant de fourvoiements thérapeutiques.
   Mais de supprimer simplement toute référence aux pôles symboliques de l'intersubjectivité pour réduire la cure à une utopique rectification du couple imaginaire, nous en sommes maintenant à une pratique où, sous le pavillon de la « relation d'objet », se consomme ce qui chez tout homme de bonne foi ne peut que susciter le sentiment de l'abjection.
   C'est là ce qui justifie la véritable gymnastique du registre intersubjectif que constituent tels des exercices auxquels notre séminaire a pu paraître s'attarder.
   La parenté de la relation entre les termes du schéma L et de celle qui unit les 4 temps plus haut distingués dans la série orientée où nous voyons la première forme achevée d'une chaîne symbolique, ne peut manquer de frapper, dès qu'on en fait le rapprochement.

 

   PARENTHÈSE DES PARENTHÈSES (1966)

Nous placerons ici notre perplexité qu'aucune des personnes qui s'attachèrent à déchiffrer l'ordination à quoi notre chaîne prêtait, n'ait songé à écrire sous forme de parenthèse la structure que nous en avions pourtant clairement énoncée.
   Une parenthèse enfermant une ou plusieurs autres parenthèses, soit ((    )) ou ((     )(     ) ... (    )), tel est ce qui équivaut à la répartition plus haut analysée des b et des d, où il est facile de voir que la parenthèse redoublée est fondamentale.
   Nous l'appellerons guillemets.
   C'est elle que nous destinons à recouvrir la structure du sujet (S de notre schéma L), en tant qu'elle implique un redoublement ou plutôt cette sorte de division qui comporte une fonction de doublure.
   Nous avons déjà placé dans cette doublure l'alternance directe ou inverse des agag ... , sous la condition que le nombre de signes en soit pair ou nul.
   Entre les parenthèses intérieures, une alternance gaga ... g en nombre de signes nul ou impair.
   Par contre à l'intérieur des parenthèses, autant de g que l'on voudra, à partir d'aucun.
   Hors guillemets, nous trouvons au contraire une suite quelconque d'a, laquelle inclut aucune, une ou plusieurs parenthèses bourrées de agag ... a en nombre de signes, nul ou impair.
   A remplacer les a et les g par des 1 et des 0, nous pourrons écrire la chaîne dite L sous une forme qui nous semble plus « parlante ».

   Chaîne L: (10 ... (00 ... 0) 0101 ... 0 (00 ... 0) ... 01) 11111. .. ( 1010 ... 1) 111. .. etc.

   « Parlante » au sens qu'une lecture en sera facilitée au prix d'une convention supplémentaire, qui raccorde au schéma L.
   Cette convention est de donner aux 0 entre parenthèses la valeur de temps silencieux, une valeur de scansion étant laissée aux 0 des alternances, convention justifiée de ce qu' on verra plus bas qu'ils ne sont pas homogènes.
   L'entre-guillemets peut alors représenter la structure du S (Es) de notre schéma L, symbolisant le sujet supposé complété du Es freudien, le sujet de la séance psychanalytique par exemple. Le Es y apparaît alors sous la forme que lui donne Freud, en tant qu'il le distingue de l'inconscient, à savoir : logistiquement disjoint et subjectivement silencieux (silence des pulsions).
   C'est l'alternance des 0 1 qui représente alors le gril imaginaire (aa') du schéma L.
   Il reste à définir le privilège de cette alternance propre à l'entre-deux des guillemets (01 pairs), soit évidemment du statut de a et a' en eux-mêmes  26).
   Le hors-guillemets représentera le champ de l'Autre (A du schéma L). La répétition y domine, sous l'espèce du 1, trait unaire, représentant (complément de la convention précédente) les temps marqués du symbolique comme tel.
   C'est de là aussi que le sujet S reçoit son message sous une forme inversée (interprétation).
   Isolée de cette chaîne, la parenthèse incluant les (10 ... 01) représente le moi du cogito, psychologique, soit du faux cogito, lequel peut aussi bien supporter la perversion pure et simple 27.
   Le seul reste qui s'impose de cette tentative est le formalisme d'une certaine mémoration liée à la chaîne symbolique, dont on pourrait aisément sur la chaîne L formuler la loi. (Essentiellement définie par le relais que constitue dans l'alternance des 0, l, le franchissement d'un ou plusieurs signes de parenthèse et de quels signes.)
   Ce qui est ici à retenir, c'est la rapidité avec laquelle est obtenue une formalisation suggestive à la fois d'une mémoration primordiale au sujet et d'une structuration dont il est remarquable que s'y distinguent des disparités stables (la même structure dissymétrique en effet persiste, à renverser par exemple tous les guillemets 28).
   Ceci n'est qu'un exercice, mais qui remplit notre dessein d'y inscrire la sorte de contour où ce que nous avons appelé le caput mortuum du signifiant prend son aspect causal.
   Effet aussi manifeste à se saisir ici que dans la fiction de la lettre volée.
   Dont l'essence est que la lettre ait pu porter ses effets au dedans: sur les acteurs du conte, y compris le narrateur, tout autant qu'au-dehors: sur nous, lecteurs, et aussi bien sur son auteur, sans que jamais personne ait eu à se soucier de ce qu'elle voulait dire. Ce qui de tout ce qui s'écrit est le sort ordinaire.

 

   Mais nous n'en sommes en ce moment qu'à la lancée d'une arche dont les années seulement maçonneront le pont 29.
   C'est ainsi que pour démontrer à nos auditeurs ce qui distingue de la relation duelle impliquée dans la notion de projection, une intersubjectivité véritable, nous nous étions déjà servi du raisonnement rapporté par Poe lui-même avec faveur dans l 'histoire qui sera le sujet du présent séminaire, comme celui qui guidait un prétendu enfant prodige pour le faire gagner plus qu'à son tour au jeu de pair ou impair.
   Il faut à suivre ce raisonnement, - enfantin, c'est le cas de le dire, mais qui en d'autres lieux séduit plus d'un -, saisir le point où s'en dénonce le leurre.
   Ici le sujet est l'interrogé: il répond à la question de deviner si les objets que son adversaire cache en sa main sont en nombre pair ou impair.
   Après un coup gagné ou perdu pour moi, nous dit en substance le garçon, je sais que si mon adversaire est un simple, sa ruse n'ira pas plus loin qu'à changer de tableau pour sa mise, mais que s'il est d'un degré plus fin, il lui viendra à l'esprit que c'est ce dont je vais m'aviser et que dès lors il convient qu'il joue sur le même.
   C'est donc à l'objectivation du degré plus ou moins poussé de la frisure cérébrale de son adversaire que l'enfant s'en remettait pour obtenir ses succès. Point de vue dont le lien avec l'identification imaginaire est aussitôt manifesté par le fait que c'est par une imitation interne de ses attitudes et de sa mimique qu'il prétend obtenir la juste appréciation de son objet.
   Mais qu'en peut-il être au degré suivant quand l'adversaire, ayant reconnu que je suis assez intelligent pour le suivre dans ce mouvement, manifestera sa propre intelligence à s'apercevoir que c'est à faire l'idiot qu'il a sa chance de me tromper? De ce moment il n'y a pas d'autre temps valable du raisonnement, précisément parce qu'il ne peut dès lors que se répéter en une oscillation indéfinie.
   Et hors le cas d'imbécillité pure, où le raisonnement paraissait se fonder objectivement, l'enfant ne peut faire que de penser que son adversaire arrive à la butée de ce troisième temps, puisqu'il lui a permis le deuxième, par où il est lui-même considéré par son adversaire comme un sujet qui l'objective, car il est vrai qu'il soit ce sujet, et dès lors le voilà pris avec lui dans l'impasse que comporte toute intersubjectivité purement duelle, celle d'être sans recours contre un Autre absolu.
   Remarquons en passant le rôle évanouissant que joue l'intelligence dans la constitution du temps deuxième où la dialectique se détache des contingences du donné, et qu'il suffit que je l'impute à mon adversaire pour que sa fonction soit inutile puisque à partir de là elle rentre dans ces contingences.
   Nous ne dirons pas cependant que la voie de l'identification imaginaire à l'adversaire à l'instant de chacun des coups, soit une voie d'avance condamnée; nous dirons qu'elle exclut le procès proprement symbolique qui apparaît dès que cette identification se fait non pas à l'adversaire, mais à son raisonnement qu'elle articule (différence au reste qui
   s'énonce dans le texte). Le fait prouve d'ailleurs qu'une telle identification purement imaginaire échoue dans l'ensemble.
   Dès lors le recours de chaque joueur, s'il raisonne, ne peut se trouver qu'au-delà de la relation duelle, c'est-à-dire dans quelque loi qui préside à la succession des coups qui me sont proposés.
   Et c'est si vrai que si c'est moi qui donne le coup à deviner, c'est-à-dire qui suis le sujet actif, mon effort à chaque instant sera de suggérer à l'adversaire l'existence d'une loi qui préside à une certaine régularité de mes coups, pour lui en dérober le plus de fois possible par sa rupture la saisie.
   Plus cette démarche arrivera à se rendre libre de ce qui s'ébauche malgré moi de régularité réelle, plus elle aura effectivement de succès, et c'est pourquoi un de ceux qui ont participé à une des épreuves de ce jeu que nous n'avons pas hésité à faire passer au rang de travaux pratiques, a avoué qu'à un moment où il avait le sentiment, fondé ou non, d'être trop souvent percé à jour, il s'en était délivré en se réglant sur la succession conventionnellement transposée des lettres d'un vers de Mallarmé pour la suite des coups qu'il allait proposer dès lors à son adversaire.
   Mais si le jeu eût duré le temps de tout un poème et si par miracle l'adversaire eût pu reconnaître celui-ci, il aurait alors gagné à tout coup.
   C'est ce qui nous a permis de dire que si l'inconscient existe au sens de Freud, nous voulons dire: si nous entendons les implications de la leçon qu'il tire des expériences de la psychopathologie de la vie quotidienne par exemple, il n'est pas impensable qu'une moderne machine à calculer, en dégageant la phrase qui module à son insu et à long terme les choix d'un sujet, n'arrive à gagner au-delà de toute proportion accoutumée au jeu de pair et impair.
   Pur paradoxe sans doute, mais où s'exprime que ce n'est pas pour le défaut d'une vertu qui serait celle de la conscience humaine, que nous refusons de qualifier de machine-à-penser celle à qui nous accorderions de si mirifiques performances, mais simplement parce qu'elle ne penserait pas plus que ne fait l 'homme en son statut commun sans en être pour autant moins en proie aux appels du signifiant.
   Aussi bien la possibilité ainsi suggérée a-t-elle eu l'intérêt de nous faire entendre l'effet de désarroi, voire d'angoisse, que certains en éprouvèrent et dont ils voulurent bien nous faire part.
   Réaction sur laquelle on peut ironiser, venant d'analystes dont toute la technique repose sur la détermination inconsciente que l'on y accorde à l'association dite libre, - et qui peuvent lire en toutes lettres, dans l'ouvrage de Freud que nous venons de citer, qu'un chiffre n'est jamais choisi au hasard.
   Mais réaction fondée si l'on songe que rien ne leur a appris à se détacher de l'opinion commune en distinguant ce qu'elle ignore: à savoir la nature de la surdétermination freudienne, c'est-à-dire de la détermination symbolique telle que nous la promouvons ici.
   Si cette surdétermination devait être prise pour réelle, comme le leur suggérait mon exemple pour ce qu'ils confondent comme tout un chacun les calculs de la machine avec son mécanisme 30, alors en effet leur angoisse se justifierait, car en un geste plus sinistre que de toucher à la hache, nous serions celui qui la porte sur « les lois du hasard », et en bons déterministes que sont en effet ceux que ce geste a tant émus, ils sentent, et avec raison, que si l'on touche à ces lois, il n'yen a plus aucune de concevable.
   Mais ces lois sont précisément celles de la détermination symbolique. Car il est clair qu'elles sont antérieures à toute constatation réelle du hasard, comme il se voit que c'est d'après son obéissance à ces lois, qu'on juge si un objet est propre ou non à être utilisé pour obtenir une série, dans ce cas toujours symbolique, de coups de hasard: à qualifier par exemple pour cette fonction une pièce de monnaie ou cet objet admirablement dénommé dé.
   Passé ce stage, il nous fallait illustrer d'une façon concrète la dominance que nous affirmons du signifiant sur le sujet. Si c'est là une vérité, elle gît partout, et nous devions pouvoir de n'importe quel point à la portée de notre perce, la faire jaillir comme le vin dans la taverne d'Auerbach.
   C'est ainsi que nous prîmes le conte même dont nous avions extrait, sans y voir d'abord plus loin, le raisonnement litigieux sur le jeu de pair ou impair: nous y trouvâmes une faveur que notre notion de détermination symbolique nous interdirait déjà de tenir pour un simple hasard, si même il ne se fût pas avéré au cours de notre examen que Poe, en bon précurseur qu'il est des recherches de stratégie combinatoire qui sont en train de renouveler l'ordre des sciences, avait été guidé en sa fiction par un dessein pareil au nôtre. Du moins pouvons-nous dire que ce que nous en fîmes sentir dans son exposé, toucha assez nos auditeurs pour que ce soit à leur requête que nous en publions ici une version.
   En le remaniant conformément aux exigences de l'écrit, différentes de celles de la parole, nous n'avons pu nous garder d'anticiper quelque peu sur l'élaboration que nous avons donnée depuis des notions qu'il introduisait alors,
   C'est ainsi que l'accent dont nous avons toujours promu plus avant la notion de signifiant dans le symbole, s'est ici rétroactivement exercé. En estomper les traits par une sorte de feinte historique, eût paru, nous le croyons, artificiel à ceux qui nous suivent. Souhaitons que de nous en être dispensé, ne déçoive pas leur souvenir.

 

 

 


NOTES

 

 

   24. Ces deux lettres répondent respectivement à la dextrogyrie et à la lévogyrie d'une figuration en quadrant des termes exclus.<retour>

 

   25. Si l'on ne tient pas compte de l'ordre des lettres, ce caput mortuum n'est que des 7/16.<retour>

 

   26. C'est ce pour quoi nous avons introduit depuis une topologie plus appropriée.

   27. Cf. l'abbé de Choisy dont les mémoires célèbres peuvent se traduire: je pense, quand je suis celui qui s'habille en lemme.

   28. Joignons ici le réseau des a, b, g, d, dans sa constitution par transformation du réseau 1-3. Tous les mathématiciens savent qu'il est obtenu en transformant les segments du premier réseau en coupures du second et en marquant les chemins orientés joignant ces coupures. C'est le suivant (que nous plaçons pour plus de clarté à côté du premier) :

où l'on pose la convention dont les lettres ont été fondées :

1.1 = a
0.0 = g
1.0 = b
0.1 = d

(on y voit la raison de ce que nous avons dit qu'il y a deux espèces de 0, dans notre chaîne L, les 0 de  g = 000 et les 0 de  g = (010).

 
   29. Le texte de 1955 reprend ici. L'introduction par de tels exercices du champ d'approche structural dans la théorie psychanalytique, a été suivie en effet d'importants développements dans notre enseignement. Le progrès des concepts sur la subjectivation y est allé de pair avec une référence à l'analysis situs où nous prétendons matérialiser le procès subjectif.

   30. C'est pour essayer de dissiper cette illusion que nous avons clos le cycle de celle année-là par unc conférence sur P.n-c1ll1llalyse el cybemérique. qui a déçu beaucoup de monde. du fait que nous n'y ayons guère parlé que de la numération binaire. du triangle arithmétique. voire de la simple porte. définie par ce qu'il faut qu'elle soit ouverte ou fermée. bref. que nous n'ayons pas paru nous être élevé beaucoup au-dessus de l'étape pascalienne de la question.
    

   20. Il s'agit de l'Entwurf einer Psychologie de 1895 qui contrairement aux fameuses lettres à Fliess auxquelles il est joint, comme il lui était adressé, n"a pas été censuré par ses éditeurs. Certaines fautes dans la lecture du manuscrit que porte l'édition allemande, témoignent même du peu d"attention porté à son sens. Il est clair que nous ne faisons dans ce passage que ponctuer une position, dégagée dans notre séminaire. <retour>      note/DWT : ce que Lacan semble évoquer de fautes dans la lecture paraît être l'affirmation par le transcripteur que Freud s'était trompé dans l'application de certaines lettres. Le transcripteur prit alors sur lui de corriger l'auteur. J'ai personnellement étudié l'Entwurf en faisant usage de la nomenclature de Freud, découvrant un texte parfaitement lisible et belle indication que le transcripteur n'avait rien compris.

 

   21. Illustrons pour plus de clarté cette notation d'une série de hasard :

<retour>

 

   22. Laquelle est proprement celle qui réunit les emplois du mot anglais sans équivalent que nous connaissions dans une autre langue: odd. L 'usage français du mot impllir pour désigner une aberration de la conduite. en montre l'amorce; mais le mot: disparate, lui-même s'y avère insuffisant.<retour>

 

   23. Cf. sa reprise renouvelante par Claude Lévi-Strauss dans son article « Les organisations dualistes existent-elles ? ». Cet article se trouve en français dans le recueil de travaux de Claude Lévi-Strauss publié sous le titre : Anthropologie structurale (Plon, 1958).<retour>

 

 


NOTE personnelle / DWT

 

note DWT : la figure ci-dessus est scannée de l'édition 1999 ; on la comparera à celle de l'édition originale, de 1966 :

ed. 1999 ed. 1966

On pouvait longtemps se casser la tête sur l'originale, qui était grossièrement fausse (inversion entre les b entre les d de la 1er ligne du W)