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Le scribe suprême
Assimilé par les Grecs au dieu Hermès,
messager des dieux, Thot peut être défini, de façon
réductrice, comme le dieu de l'écriture et du
savoir. De plus,
messager des dieux, il est aussi leur scribe et leur
législateur. La présence de Thot est attestée dès les Textes
des Pyramides. D'autres forces divines de la région du nome du
Lièvre d'où il est originaire, revêtant des apparences
différences, ont été bientôt rapprochées, par le truchement de
similitudes ou de convergences, de cette divinité de haute
stature. Thot est ainsi fortement lié à un babouin, Hedj-Our,
sans doute albinos, puisque son nom signifie le "Grand
Blanc",
ou le "Grand Argenté". Hedj-Our porte l'épithète de Grand des
Cinq, ce qui peut laisser croire qu'il était associé à un
groupe de cinq autres forces divines. Certains auteurs ont
indiqué qu'à époque tardive ces Cinq ont pu être les cinq
divinités veillant sur les jours épagomènes (Osiris,
Isis,
Seth,
Nephthys et Haroéris) en relation avec Thot responsable de la
création de ces jours dont il gagne la durée en jouant aux dés
avec la lune.
Couronement de Ramsès
II, le Dieu Thôt inscrit les noms du Pharaon
De son nom même,
Djehouty, on sait
peu de choses puisqu'il est, jusqu'à présent, intraduisible.
Thot revêt parfois une forme simiesque, le babouin étant l'une
des ses expressions animales privilégiées ; l'autre est
l'ibis sacré. C'est d'ailleurs sous l'aspect d'un homme à tête
d'ibis qu'il apparaît, pour la première fois dans
l'iconographie à l'Ancien
Empire. Son nom même est le plus souvent écrit à l'aide
d'un ibis dressé sur un étendard. Il se peut d'ailleurs que ce
volatile ait été l'enseigne originelle du culte de Thot. En
son rôle de scribe, il est le plus souvent doté d'une palette
et d'un godet et occupé à rédiger, avec sa parèdre
Séchat, les
noms royaux ou les annales divines.
Son lieu de culte principal se
trouvait à Achmounein (Hermopolis),
l'ancienne Khemenou, la Ville des Huit, dont le nom rappelle
l'Ogdoade à l'origine de la Création. Celle-ci procède d'un
œuf qui apparut pour la première fois au-dessus d'une butte
originelle. Cet œuf, pondu par une forme du Démiurge appelée
parfois dans les textes Grand
Jargonneur, aurait aussitôt
disparu dans l'abîme, si huit émanations du démiurge ne
s'étaient mises à l'œuvre pour donner naissance à cette
éminence primordiale.
Cette Ogdoade hermopolitaine est
formée de quatre couples dont la grenouille représente
l'élément mâle et le serpent l'élément femelle. Ces quatre
couples représentent, par leur apparition, la mise en place
des éléments primordiaux du cosmos avant l'apparition réelle
du Démiurge. On y trouve ainsi Noun et Nounet (l'élément liquide), Amon
et Amonet (caractère de ce qui est caché et inexprimable), Heh
et Hehet (le principe de l'infinité spatiale et temporelle) et
enfin Kekou et Keket (le concept de l'obscurité avant
l'apparition du Lumineux).
Bien qu'il soit difficile de
savoir si l'Amon
présent dans l'Ogdoade est analogue à l'Amon
qui émerge au Moyen
Empire à Thèbes,
il est clair qu'une grande partie de la cosmologie
hermopolitaine a été récupérée par les théologiens thébains et
assimilée dans la synthèse ayant donné corps à l'existence
d'Amon
en tant que force divine patronne de la royauté puis
nationale. Ainsi, cette Ogdoade est connue plus par ces
développements tardifs que par les vestiges de la théologie
hermopolitaine. Sa relation avec le Thot d'Hermopolis
reste cependant difficile à préciser.
Bien peu de choses subsistent de
son temple principal à Hermopolis
magna. Il y recevait un culte en relation avec une parèdre mal
connue nommée Nehemetâouy. Seuls
deux babouins colossaux
élevés par Aménophis
III en gardent encore l'entrée hypothétique. Un temple de
Thot est attesté dans l'oasis de Dakhla ainsi qu'à Tell
el-Baqliyeh dans le Delta. Le culte de l'ibis s'était en effet
répandu dans le 15e nome de Basse-Egypte dont l'enseigne
montre cet oiseau sacré. Son attache avec la moitié orientale
du Delta lui vaut vraisemblablement, à l'Ancien
Empire (temple Solaire de Sahourê), de porter les
épithètes de Seigneur des Bédouins ou de
Seigneur des pays
étrangers aux côtés de Sopdou. Sous le règne d'Horemheb,
Thot jouit d'un culte nubien au spéos du gebel Addah. Il
devient alors Thot de Pnoubs et reçoit un culte à Dakka. Il
s'agit sans doute de noter son rôle dans la crue et sa venue.
Sans doute est-il possible de relier ce fait avec l'expansion
du culte lunaire familial des Thoutmôsides de la XVIIIe
dynastie.
Malgré ses attaches à des lieux
privilégiés, Thot est omniprésent dans l'ensemble des temples.
Dès l'Ancien
Empire, le culte de Thot est un des plus importants
d'Egypte ; ses prêtres sont issus de la famille royale et
certaines reines portent le titre de prêtresse de Thot.
S'il est parfois assimilé à la
lune, Thot est fortement lié à l'astre lunaire. Son front est
orné d'un disque posé sur un croissant de lune
horizontal.
Cette position résulte de l'observation de la lune sous les
tropiques. D'après les Mésaventures d'Horus
et Seth,
ce disque d'or ne serait autre que la semence d'Horus
émergeant du front de Seth.
Cette coiffure représente de façon
synthétique les diverses phases de l'existence de l'astre
lunaire. La forme même du bec de l'ibis sacré, proche de celle
du croissant, n'a pas peu contribué à ce caractère sélénique.
Les liens de Thot avec la lune expliquent les liens qu'il
entretient avec Khonsou ou Iôh, dieu-lune des anciens
Egyptiens, sous la forme de Thot-Iôh, nom qu'il est sans doute
possible de traduire directement par Thot-Lunus. A l'époque
tardive, Thot reçoit en outre le nom de Disque d'argent. Le
fait que Plutarque indique que Thot est assis dans la lune,
doit certainement être mis en relation avec des images du
disque solaire orné d'un cynocéphale accroupi.
Lié à la lune et à ses phases,
Thot est considéré comme le ma"tre du comput temporel. Il fixe
la longueur des jours, des mois et des années et permet à Nout
de donner naissance à ses cinq enfants, qu'elle conçoit de Geb,
au cours des jours dits épagomènes. Cette relation avec le
comput temporel et le contrôle a conduit les Egyptiens a
donner un rôle moins reluisant à Thot passant pour un voleur
d'offrandes. La relation du dieu avec les phases des grands
cycles cosmiques lui permet d'ailleurs d'être un acteur de
premier plan dans les différentes versions, solaire ou
lunaire, du Mythe de la Lointaine. Il y est l'intermédiaire,
jouant de son intelligence et de sa faconde pour faire entrer
les éléments chaotiques dans l'orbe organisée du monde
égyptien. Il y apparaît comme le protecteur et le sauveur de
l'œil lunaire. Il est celui qui remplit l'œil d'Horus
et le soigne lors du combat qui oppose ce dernier à Seth.
Certaines vignettes du Livre des Morts le montrent d'ailleurs
tenant l'œil-oudjat guéri. Pourtant, certains épisodes
mythiques laissent entendre qu'il peut parfois,
paradoxalement, participer à la diminution de l'œil, par le
prélèvement d'une partie de l'astre lunaire.
Cet astre diminué sous la forme
d'un croissant devient alors une lame redoutable dont Thot se
sert pour le châtiment. Ce lien avec le déclin de l'astre et,
d'une certaine façon, la responsabilité qui revient à Thot
dans celui-ci, lui fait prendre part à légende osirienne, dans
le camp de Seth
dont il semble parfois, dès les textes les plus anciens, être
le frère. A ce stade, comme le prouvent de nombreuses scènes
du couronnement royal, Thot prend la place de Seth
auprès d'Horus,
sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit seulement de
remplacer une force négative par une divinité positive.
Cependant, dans la légende osirienne, Thot, considéré comme le
protecteur de la lune déclinante, rassemble les fragments du
corps dépecé du dieu et le soigne, tout comme il "remplit
l'œil lunaire".
Les liens qu'entretiennent Thot et
la lune lui permettent d'être proche de Rê.
Tout comme la lune se tient près du soleil, Thot est auprès de
Rê.
Il se tient fréquemment sur la barque solaire, au côté de Maât,
à laquelle les amulettes tardives le lient souvent sous la
forme d'un ibis tenant une plume d'autruche. Il est le soleil
de la nuit qui remplace Rê
quand il disparaît à l'occident. Il est lui-même le Taureau
parmi les étoiles, le Scribe de Rê
et de l'Ennéade. Il émet en leur nom des décrets et scelle les
missives divines.
La relation de Thot avec les
phases de la lune, lui permet aussi de s'enorgueillir du titre
de Maître du Temps et de Seigneur des Années ou de Celui qui
fixe les heures, les mois et les années. En effet, le premier
calendrier égyptien et le calendrier religieux furent fondés
sur l'examen des cycles lunaires. Ce contrôle du temps lui
permet en outre d'être chargé des annales royales et divines.
Il est le seul a pouvoir prendre note de la titulature royale
lors du couronnement. Thot écrit à l'aide de son calame les
noms royaux sur les feuilles d'or de l'arbre-iched, arbre
généalogique de la royauté poussant à Héliopolis.
De même, il lui est possible de les inscrire sur des frondes
de palmier, symbole de l'année, promettant ainsi de nombreuses
années de règne au souverain.
On le voit, Thot semble rattaché à
l'ensemble des opérations intellectuelles. Inventeur des
paroles divines, les hiéroglyphes,
il est le patron des scribes. L'écriture ne serait rien si
elle n'était notation de la langue. Thot apparaît ainsi comme
l'initiateur de la séparation des langages. L'écriture est son
don, tout comme le discours ordonné : il apparaît dans la
théologie memphite comme la langue de Ptah elle-même. Il est
donc maître du Verbe, et par là même, auxiliaire de la
création.
Thot apparaît aussi parfois comme
le fils aîné de Rê.
Détenteur de tout savoir, il est celui qui lit dans les cœurs
car ce savoir lui donne pouvoir sur les gens et les choses.
Grand et redoutable magicien, il peut susciter par la magie du
verbe et le contrôle des computs, tout ce qu'il désire créer
et organiser. Sa parole appelle les choses à l'existence, mais
aussi les hommes et les dieux eux-mêmes. Thot devient du même
coup un dieu-créateur. Seigneur de la bonne ordonnance du
monde, il est l'arbitre impartial qui sépare et calme les
combattants dans la Querelle d'Horus
et Seth.
Il est donc le patron de ces
scribes spécialisés que sont les magiciens. N'est-il pas celui
qui fournit à Isis,
les formules magiques destinées à guérir Horus
de la morsure du serpent et du scorpion dans le Delta ?
Il est aussi le patron de magiciens spécialisés, les médecins,
en tant que Médecin de l'œil d'Horus.
De ce fait, Thot est souvent présenté comme le scribe et le
concepteur originel de nombreux livres et formules magiques.
Il est Seigneur des Livres et règne sur le lieu de toutes
connaissances, la Maison de Vie. Il est le protecteur des
bibliothèques. On trouve une telle formule sur une statue
millénaire de Thot ou dans un vieux rouleau précieux conservé
dans l'immense bibliothèque de son temple d'Hermopolis,
considérée comme un véritable labyrinthe.
Un peu moins connue est la
relation de Thot avec l'eau. Tout d'abord, son nom apparaît,
bien entendu, en rapport avec les godets des scribes dont il
est le patron : le scribe offrait une libation à Thot à
l'aide de ce godet avant de commencer son travail. La
découverte de certains godets dans un contexte funéraire
laisse penser qu'il s'agissait alors pour le défunt de pouvoir
lui-même profiter de cette libation et de ne pas être privé
d'eau dans l'au-delà.
De là même façon, le babouin de
Thot semble lui aussi lié à l'eau, mais cette fois à l'eau qui
étanche la soif de l'homme dans le désert. En effet, les
Egyptiens avaient observé qu'il était le seul à pouvoir broyer
la dure coque des noix de palmier-doum, fruit récalcitrant
contenant une réserve d'eau cachée.
Dans le monde funéraire, Thot fait
souvent office de héraut et de secrétaire de la cour divine.
Il est celui qui introduit le défunt dans la Salle des Deux Maât
où l'attend le jugement d'Osiris.
Là, il prend en note la déclaration de justification, mais
surveille aussi l'exactitude de la pesée du cœur du défunt.
Son rôle de scribe lui permet en outre de noter la date de la
mort de chaque homme sur sa pierre de naissance. Il devient
ainsi un des maîtres du destin. Il est aussi important de
noter que ce rôle funéraire est lié au rôle de créateur de
tous les rituels et de toutes les formules du culte funéraire.
Thot écrit les formules de protection pour le défunt de "ses
propres doigts". Il est finalement celui qui émet le décret
permettant au défunt de pénétrer dans le monde de la Douat ou
encore de "Sortir au jour" pour revenir quelques heures dans
le monde des vivants. Il peut d'ailleurs recevoir lui-même le
titre de Seigneur de la Douat ; c'est à ce titre qu'il
est présent lors de la sixième heure du voyage nocturne du
soleil, sous l'aspect du babouin cynocéphale, tout en tenant à
la main un ibis. La fête de Thot a lieu le 19e jour du premier
mois de l'année ; elle tenait une place importante dans
le calendrier des fêtes dès l'Ancien
Empire. Sans doute à cause de cette relation avec les
morts, il joue également le rôle de psychopompe en sorte que
les Grecs l'assimilèrent, également pour cette raison, à leur
Hermès. La ville de Khemenou reçut alors, ainsi qu'une autre
ville située dans le Delta, le nom d'Hermopolis.
Désormais Trois-fois-grand (trismégiste), Thot était alors
appelé à devenir le saint patron des écrits dit
hermétiques.
Cet Hermès trismégiste n'est plus
Thot lui-même, mais plutôt son succédané, un alter ego
hellénisé, projection de l'image phantasmatique de ce qui est
l'Orient et toute sagesse, un amalgame de pensées
méditerranéennes à la manière alexandrine ne contenant que des
souvenirs édulcorés d'une réalité égyptienne.
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