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DE LA NÉCESSAIRE
« extraction »

  DANS LE SOIN GROUPAL A TEMPS PARTIEL POUR ENFANTS.

Auteur : Tony Navalon
 - Mai 2000 -

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TABLE des MATIERES

goto Chapter   Introduction

goto ChapterPPremière partie: 

DE L’ENFANT FOU AUX ENJEUX INSTITUTIONNELS DU SOIN 

mes filiations de pensée

                                                    

Chap. 1  Historique de la psychiatrie infantile

Pinel   

La loi du 30 juin 1838  

Esquirol et Bourneville  

La psychiatrie infanto-juvénile  

La  sectorisation   

      

Chap. 2   Les C.A.T.T.P pour enfants

 

Chap. 3  Le C.A.T.T.P de Vénissieux

 

Chap. 4  Questions psychopathologiques 

Les enjeux de la psychopathologie 

L'approche phénoménologique 

Le structuralisme

 

goto Chapter   Deuxième  partie: 

 

UNE PRATIQUE DE l'"HORS"

 

 D'unaccident de  la circulation à une "circulation-web", 
d'où me vient cette envie de parler 

de l'hors

 

Chap. 1   Le cas Idir

Premier contact avec le groupe

Idir 

La claque

 

Chap. 2   Penser l'articulation groupe-sujet

Le courant anglais de psychanalyse groupale

Le courant Français de psychanalyse groupale

La spécificité du travail avec les groupes d'enfants

 

Chap. 3   D'un temps groupal à une problématique individuelle

Ma place dans le groupe

Le temps groupal 

Ma relation avec Idir 

Du contrat narcissique au pacte dénégatif 

Un groupe qui "groupe"

 

  goto Chapter   Troisième  partie:  

 

LA CONCEPTION DU TEMPS

 

Du moins-un de l'individu à la psychologie cognitive

 

Chap. 1  La mémoire

L'antiquité 

Correspondance antique 

Correspondance pratique

 

Chap. 2  Le transfert comme lien social

La notion d'idéal du moi chez Freud 

 

Chap. 3 La perception de la durée 

La cybernétique

Le temps logique

 

goto Chapter   Conclusion

 

 
Introduction

F2F. Il s'agit de l'abréviation de " face to face " en anglais, terme utilisé sur le net pour qualifier une rencontre dans le monde réel. Avec Internet, " réseau des réseaux ", la technologie vient à domicile, modifier notre écriture. Depuis mon expérience, le face à face imposé par le clavier bouscule ma manière de penser. Mes doigts scrutent les touches pendant que mon esprit fouille dans les rayons de mes idées. Le temps est tout autre, et l'écran me rassure de ma présence au monde, pendant que mon âme se promène derrière l'image. Voilà le chantier de notre modernité. Parler avec ses doigts pour inscrire ses pensées. L'Internet me donne la mesure du temps alors que ma pratique sociale et professionnelle est toute " Hors ". Mon corps est assigné à résidence par arrêt maladie. Et me voilà donc affublé de-hors.

Il ne s'agit ni d'un autre monde ni d'un autre temps, simplement des nouveaux matériaux du savoir, avec qui je pratique l' " absence ". Mon expérience d'éducateur est spécialisée d'une nouvelle épreuve en ce début de dossier. Je parlerais donc volontiers d'un chantier épistémologique pour qualifier ce travail d'écriture théorico-clinique d'une pratique. Car ma profession est en deuil. Une autre pratique pourrait-elle sourdre ?

Le temps est mon allié pour cette construction. Je compose mes fondations depuis le temps passé d'abord. La pédopsychiatrie s'est imposée à moi voilà dix ans bientôt. Parce que l' " enfance inadaptée " est au centre de mes questionnements sur la vie, sur la science et sur le temps. Ainsi, un historique dévoilera mes filiations qui ne cesseront de s'afficher. M'afficher serait tout aussi juste, car l'histoire dévoile et esquisse les fondements de mon être au travail. Je vais donc présenter mon univers, celui de la psychiatrie se spécialisant autour de l'enfant et aboutissant jusqu'en un Centre d'Accueil Thérapeutique à Temps Partiel, au cœur de la banlieue lyonnaise. Les charpentes sur les qu'elles s'organisent une telle approche sont la thérapeutique psychopathologique, ses enjeux, ses approches et ses modèles.

Je consacre ensuite ma deuxième partie à ce qui fut l'actualité de ma pratique en C.A.T.T.P. C'est ici que commencent à s'installer les effets d'une absence. Un accident qui impose une nouvelle temporalité, que le groupe accentue de ses particularités. Concrètement, depuis une absence longue et impromptue, la rencontre avec un enfant sera là pour tenter de saisir les arcanes de l'articulation entre le groupe et le sujet. Une claque ne sera pas une métaphore de cette expérience que je nomme l '" hors ". Mon chantier à ce stade avancé, est en pleine effusion. La pensée s'active, les mots s'installent sur l'écran et l'édifice prend jour. C'est à cet instant que commence à s'affirmer et s'afficher, la transmission de mes origines théoriques et historiques. Mes choix et mes options théorico-cliniques s'ordonnent petit à petit pour permettre l'émergence d'une pensée affirmée et assumée.

Dans une dernière partie, je peux prendre le risque de me laisser penser avec mes outils, mes plans et mes penchants. Je n'ai pu pour cela oublier l'éclectisme de mes origines culturelles que je dois à mes extractions successives dans le monde virtuel de l'internet. Ces expériences m'amène à oser interroger la conception que l'on a du temps, afin de repérer ce que l'on y projette de ses propres réponses. Ce " on " dévoile déjà mon inclinaison à penser avec la psychologie collective. Il s'agit là d'un futur qui reste à construire à cet instant ou les bases et l'état du chantier théorique me l'autorisent. Comment penser avec ces nouvelles sciences, cognitives, ces nouveaux matériaux, la cybernétique, sans renier l'histoire ? Par le groupe encore, qui peut s'étendre et s'entendre différemment, pour questionner le soin. J'imagine l'après ; l'après d'une profession pour l'apprêt d'une nouvelle pratique. D'autres interrogations pour penser le soin groupal.

Je veux respecter pour autant les règles d'une telle procédure universitaire. Ma problématique s'est construite ainsi : comment est-il possible de décrire le soin groupal pour enfant en CATTP, autrement que par cette logique tautologique qui énonce et décrit qu'une thérapeutique de groupe d'enfants est efficaces dés lors que l'on peut constater q'un groupe " groupe "? Autrement dit, dans le soin groupal, qu'elle expérience constitutive permet à l'enfant de se construire en tant que sujet de son existence ?

Mon Hypothèse En figurant une " autre scène ", l'extraction de l'enfant hors du groupe lui permet de se présenter comme une absence fondamentalement constitutive de son existence en groupe.

Pour être plus explicite, j'utilise le terme d'" existence " en ce sens qu'il met en jeu une " boucle " dialectique qui ne peut être agie que dans les interstices de l'extraction. Ce " partir-revenir " pourrait symboliser cette question fondamentale de la mort comme toile de fond à toute existence de sujet.

 

 

 

 

Première partie

DE L'ENFANT FOU AUX ENJEUX INSTITUTIONNELS DU SOIN

 

 

 

Mes filiations de pensée

" Et pourquoi me définir, me dessiner ou me peindre, puisque je suis en votre présence [...]. Je suis, comme vous le voyez, cette véritable dispensatrice du bonheur que les latins nomment Stultitia, les Grecs, Moria [...]. Si nous aimons les enfants, les baisons, les caressons, si un ennemi même leur porte secours, n'est-ce pas parce qu'il y a en eux la séduction de la folie ?". C'est notamment en ces termes que s'interroge Erasme en 1509, à un moment où l'on commence à déchiffrer les inscriptions de la folie dans une opposition à la raison. Pour Foucault (1972) - qui s'intéresse aux ruptures et aux discontinuités dans les soubassements de nos modes de pensée -, la médecine de l'esprit, dans sa forme positive, n'est au fond que la superposition de deux expériences, l'une sociale, l'autre juridique : " Le fou n'est pas reconnu comme cet homme normal, parce qu'une maladie l'a décalé vers les marges de la normale et que notre culture l'a situé au point de rencontre entre le décret social de l'internement et la connaissance juridique qui discerne la capacité des sujets de droit".

De leur côté, Gauchet et Swain (1980) pensent plutôt que le développement du traitement de la folie, n'est pas l'expression d'un pouvoir répressif et normalisateur sur la raison, mais au contraire lié à l'avènement d'une société démocratique. Deux arguments soutiennent leur thèse citée dans Sciences Humaines (1994) : le processus d'enfermement ne vise pas à exclure l'Autre, le déviant, le différent, mais au contraire à l'intégrer dans la société ; l'essor de l'asile est parallèle à l'essor de l'Etat-Protecteur.

Si j'introduis, d'une façon éparse, mon propos par la folie - sous l'angle de l'affect mais aussi du politique - sans doute est-ce une manière de rappeler l'hétérogénéité des points de vue sur un tel sujet, mais aussi de souligner leurs acuités respectives. Pour opposées puissent-elles paraître, l'approche de Foucault et celle de Gauchet et Swain ne me semblent nullement inconciliables et c'est à la croisée de leurs chemins que je situe volontiers ma position.

Après ce préambule, il me faut avant tout rendre compte de mon histoire, au sens où l'entend Althusser (1963), " pas personnelle, au sens individuel, mais personnelle au sens intellectuel du terme, avec ses problèmes". Je peux ensuite situer une des origines de ma profession par l'évocation de "l'enfant sauvage" auquel Itard (1775 - 1838) tente de restaurer sa place de sujet. Ce médecin sera l'un des premiers éducateurs qui mettra en valeur l'inversion de la détermination dans ce couple sujet/groupe que je situe au cœur de ma réflexion clinique.

Nous aurons l'occasion de voir aussi qu'une interrogation demeure récurrente autour de l'articulation entre le thérapeutique et l'éducatif. Articulation paradoxale puisque son impossibilité d'être opérante stimule sa mise en question. Graber (1989) soutient que "toute l'histoire de l'enfance aliénée tourne autour de cette articulation impossible entre soigner et éduquer". Selon lui, les deux termes de l'opposition sont confondus : "il n'y a pas d'écart, il n'y a pas d'articulation possible". De son côté, Misès (1992) nous met en garde contre "l'influence néfaste qu'exerce une rupture de l'équilibre entre l'éducatif et le thérapeutique". Ces empiétements sont en fait inévitables poursuit-il : "C'est pourquoi les essais de réajustement s'inscrivent dans la dynamique même d'un travail institutionnel".

Soigner, éduquer : la bipartition s'éloigne certes de celle qui séparait naguère médecins et philosophes, mais force est de reconnaître que le dualisme privilégiant le corps pour les premiers, l'esprit pour les seconds, demeure au cœur de notre héritage théorique et clinique.

 

 

Chap.1 Historique de la psychiatrie infantile

L'essor de la psychiatrie infantile m'invite à évoquer préalablement quelques jalons historiques à partir de la fondation de l'hôpital général de Paris en 1656. C'est en effet à cette date que s'esquisse une nouvelle façon de percevoir la folie.

Pinel

Le fait est connu mais ne peut être banalisé : nommé à l'hôpital de Bicêtre, Philippe Pinel délivre les fous de leurs chaînes et, ce faisant, rompt avec le " grand enfermement " préconisé un siècle auparavant en vertu de l'édit de 1656. A ce sujet, Horassius-Jarrie (1994) écrit : " la légende veut que ce geste ait eu lieu en 1793, apportant ainsi un peu d'humanité, à cette année de terreur révolutionnaire". Cette " légende " témoigne bien cependant d'une réalité : " ce médecin-philosophe, en délivrant les fous enchaînés, accomplit bien autre chose qu'un simple geste de compassion et de philanthropie ". En élevant l'aliéné à la dignité de malade, Pinel appose à celui-ci une identité de sujet et ose soutenir la curabilité de la folie, nonobstant le spectre de l'incurabilité agitée par tous. Par ce " regard ", les fous deviennent accessibles à un traitement parce qu'il subsiste en eux quelques " traces de raison". Pinel s'engagera ainsi dans un formidable "pari conceptuel", réunissant corps et âme - l'expression peut être entendue dans les deux sens - pour forger l'identité du sujet malade.

Selon Lantéri-Laura (1991), "c'est en 1834 seulement que la dernière chaîne de forçat quitte l'hospice de Bicêtre" - ce geste mythique est représenté par la statue en bronze de Pinel équipée de tenailles et d'un marteau, statue que l'on peut voir à l'entrée de la Salpetrière. On ne parle plus de "folie", mais d '" aliénation" et des " aliénés mentaux ", désignant ainsi une maladie mentale susceptible d'être soignée par un "traitement moral " pour lequel il faut rappeler le rôle privilégié de l'équipe soignante. Il s'agit de proposer un traitement fondé sur la raison dans un lieu différent de l'hôpital général qui pratique des traitements somatiques. L'asile est à l'origine de vastes projets architecturaux où "l'isolement, le cadre, l'ordre extérieur et l'organisation " (Foucault, 1975) jouent un rôle essentiel.

 

La loi du 30 juin 1838

 Le système de soin français s'est tout d'abord fondé sur cette loi qui permit l'émergence d'une infrastructure hospitalière spécialisée : l'"asile d'aliénés". Une telle initiative correspondait à une pensée thérapeutique traduite par la pratique "Isolement et contention". Ce système d'organisation de soins a, dans une large mesure, régi la psychiatrie française jusqu'en 1970.

1838 donc, première loi qui engage une politique de santé mentale à l'échelle d'un pays puisqu'elle fait obligation aux pouvoirs publics de construire dans chaque départements français un asile. Loi également dérogatoire puisqu'elle organise et réglemente la contrainte à l'hospitalisation. On voit, à travers cette loi, se nouer les liens d'une articulation entre l'individu souffrant et le politique. La psychiatrie s'installe à une place singulière entre la médecine et un champ politique que l'on nommerait " social " aujourd'hui. Mais "pour devenir discipline médicale, il était indispensable de définir la maladie mentale, de bien l'identifier. Pour la soigner, il fallait nettement l'isoler, c'est-à-dire établir et préserver une discontinuité entre le normal et le pathologique. C'est cette discontinuité, on le sait, qui est fondatrice de la médecine et des disciplines médicales" (Horassius-Jarrie, 1994).

Afin de promouvoir cette nouvelle discipline scientifique, certains aliénistes oublient en partie le "pari uniciste " de Pinel, privilégiant plutôt une orientation classificatrice et organiciste. On trouve à cette époque, le vocable "cérébries" pour qualifier les maladies mentales. La médecine se met à la recherche d'entités anatomo-cliniques pour " définir " le malade, c'est-à-dire l'étranger à lui-même et aux autres. Des notions telles que celles d'hérédité, de dégénérescence, de constitution sont utilisées à défaut de mise en évidence de lésions indiscutables. La maladie mentale est alors considérée comme un symptôme de l'organe cerveau.

Les asiles, peu soutenus financièrement, vont rapidement s'encombrer, effaçant en partie leur projet initial de soin. En 1920, ces établissements passent alors sous la tutelle du Ministère de la Santé - ils étaient auparavant sous celle du Ministère de l'intérieur. Le terme d'hôpital psychiatrique subroge celui d'" asile d'aliénés " en 1937. Mais à l'intérieur des murs, la psychose continue d'imposer son mode pathologique de communication et d'animer d'insatiables débats théorico-cliniques.

Foucault (1972) décrit bien " ces asiles devenus, peu à peu, des lieux d'assistance et de contrainte où, dans un climat général de promiscuité, sont gardés plus que soignés, des exclus sociaux indifférenciés". Cette médicalisation de la folie a aussi des conséquences pratiques sur la vie même du malade : mesures d'assistance et de protection, définition de l'incapacité civile, de l'irresponsabilité pénale, placement d'office d'individus jugés dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui, placement volontaire sur demande de l'entourage du malade ou de sa famille.

 

Esquirol et Bourneville

Dans le sillage de Pinel, Esquirol sépare la folie des idioties, " ce qui va figer toute la clinique de l'enfant pour un siècle " (Graber 1989). Cet acte aura comme conséquence de transformer les asiles en lieu de réclusion mais également de soin et d'assistance aux aliénés. L'idiotie va tenir lieu de prototype thérapeutique en caractérisant d'une part un état déficitaire (et non plus une maladie) et d'autre part une origine organique, voire héréditaire. L'idiot contrairement à l'aliéné, est incurable et inéducable. Cette position théorico-clinique ne manquera pas d'être contestée par quelques-uns des élèves d'Esquirol - Voisin par exemple dira qu'il n'y a pas une idiotie mais plusieurs.

Cinquante ans plus tard, à la fin du XIXème siècle, Bourneville ouvre à Bicêtre la section des enfants. On voit apparaître, vers 1870, les premières classes de perfectionnement pour enfants déficients au sein des hôpitaux. La "ville école" est ainsi promue en France et servira de modèle dans toute l'Europe. L'objectif de ces institutions est de rendre les idiots, " propres, polis, un peu autonomes et de leur apprendre de petits métiers" (Graber, 1989). Face à une affection - l'idiotie - exclue de la pratique clinique habituelle, les médecins aliénistes tentent ainsi une prise en charge par le biais de l'éducation. Ce soin par l'éducation constitue, selon Graber, un " premier paradoxe " qui intéressera mon sujet.

Vers la fin du XIXe siècle, la loi de l'école obligatoire (Ferry, 1880) d'une part, la quantification et la catégorisation des tests de Binet et Simon d'autre part, auront pour effets de déplacer vers les médecins et les psychopédagogues le conflit initial entre philosophie et médecine (corps et esprit). L'école asile de Bicêtre fermera au début du XXe siècle, et " aux médecins vont échoir les arriérés profonds, les idiots, pour une sorte de gardiennage médicalisé " (Graber 1989). Il s'agira du " deuxième enfermement de l'idiotie " en une forme de retour à Esquirol. Ce retour à " l'incurabilité " sera étayé et étoffé par les thèses de l'hérédo-dégénérescence, lesquelles sous-tendront les principales rubriques de la nosographie psychiatrique de l'époque.

Dans un second temps, "aux psychopédagogues vont échoir les anormaux d'écoles, ce que l'on a appelé plus tard les débiles, c'est-à-dire ceux qui, justement ne peuvent pas être scolarisés normalement et pour lesquels il faut une scolarité adaptée, spécialisée" (ibid). A partir de cette date, 1920, se développeront les classes de perfectionnement. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ces nouvelles dispositions pour " éduquer " les enfants déficients donnent lieu à un nouveau concept, celui de l'enfance inadaptée.

Avec cette expression, il ne s'agit plus là d'une entité clinique, mais d'une entité sociale, économique, voire politique. La loi de 1945 est promulguée pour régir l'ensemble des institutions sociales et médico-sociales. Des associations de parents - par exemple l'U.N.A.P.E.I. à la fin des années 1950 - auront pour objectif de normaliser, d'adapter et d'insérer socialement l'enfant en carence intellectuelle ou affective. Des réalisations tout à fait importantes se dessinent alors, telles que la création d'instituts médico-éducatifs ou d'institutions à caractère social. " C'est le second paradoxe : la question du soin va revenir par le biais des psychopédagogues dans une visée adaptative, dans une visée rééducative. Il va y avoir des médecins que l'on a appelé les neuropsychiatres infantiles, qui sont des médecins modernes pour l'époque, adeptes de la médecine sociale, de la prévention, du dépistage, de l'accompagnement, et surtout de la recherche étiologique, qui vont sortir les parents de cette honte étiologique que représentait l'hérédo-dégénérescence" (Graber, 1989).

Ainsi, l'après deuxième guerre mondiale apparaît comme un moment majeur de mutation sociale. L'isolement, cette hypothèse théorique qui avait fondé le soin du malade mental sur sa mise à l'écart du groupe social, est récusé dans de nombreux pays industrialisés. Des perspectives thérapeutiques, tant en psychopharmacologie que dans le champ des théories psychodynamiques - avec le développement de la psychanalyse -, apparaissent. L'impact théorique et pratique du mouvement de psychothérapie institutionnelle crée un champ particulier d'application des théories psychanalytiques au travail de groupe.

" Le XXe siècle a vu se développer trois grands modèles explicatifs de la psychiatrie, explique Reynaud (1994), correspondant à trois dimensions fondamentales de l'être humain : le modèle psychologique, le modèle biologique et le modèle social. Dans les années 70, chacun d'entre eux avait des prétentions hégémoniques et pensait pouvoir arriver à expliquer seul le fonctionnement de l'être humain ".

Citons enfin un autre fait marquant de cette époque, l'émergence de notre système d'assurance maladie. En finançant les budgets hospitaliers, la sécurité sociale a permis, à partir des années 60, d'humaniser et de moderniser peu à peu des locaux hospitaliers qui dès lors pouvaient prétendre devenir des lieux de soins adaptés.

 

La psychiatrie infanto-juvénile.

 La loi du 30 juin 1979 (annexe 1) accentue l'opposition entre les malades relevant d'une thérapeutique et les handicapés soumis à l'éducation spécialisée. La loi du 25 juillet 1985 fonde l'existence des équipes de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Ces textes (annexe 2) précisent les dispositifs institutionnels nécessaires et imposent une politique de coordination entre tous les professionnels de la santé mentale qu'ils soient de statut public ou associatif. Tous ces moyens ont pour objectif principal de favoriser le maintien de l'enfant dans son milieu familial, éducatif et scolaire chaque fois que cela est possible.

Misès et Hochmann (1992) rappellent " qu'il ne faut pas oublier que le champ de la pathologie mentale de l'enfant et de l'adolescent s'est fondé sur des découpages administratifs qui confèrent à différents ministères ou directions ministérielles la tutelle d'établissements étroitement spécialisés et dévolus respectivement à la Santé, à l'Action Social, à l'Education Spécialisée, à la Justice, etc.". Ajoutons que du point de vue théorique, les apports de la psychanalyse, de la neurobiologie et des sciences sociales remettent en question le champ de l'arriération mentale. En témoigne pour la psychiatrie de l'enfant, l'impact de la psychanalyse qui va notoirement modifier le champ de la pratique clinique et institutionnelle : les psychanalystes vont en effet repenser l'éducation, " d'Anna Freud qui a beaucoup parlé d'éducation jusqu'à Françoise Dolto, en passant par Lebovici, Winnicott jusqu'à Manoni en passant par Bettelheim, ces deux derniers d'ailleurs intitulant leurs lieux de soins, école orthogénique ou école expérimentale". " C'est, ajoute Graber (1989), le troisième paradoxe "

L'émergence des catégories cliniques de l'autisme constituera le deuxième événement majeur pour la pédopsychiatrie. On décrit l'autisme de Kanner puis les différentes formes de psychose infantile. Progressivement des entités cliniques apparaissent au détriment du terme d'arriération mentale. Une clinique de la psychose infantile s'organise en créant, chemin faisant, une nouvelle catégorie, les arriérés profonds. C'est " comme s'il fallait maintenir un point zéro, un degré zéro de la clinique, un point fixé à partir duquel on pourrait compter le progrès thérapeutique" (Graber, 1989).

Aujourd'hui, la pédopsychiatrie avec ses acteurs fondateurs - notamment Misès à Paris, Hochmann et Graber à Lyon dont je suis reconnaissant d'un certain héritage théorico-clinique -, considèrent que toutes les formes de psychoses y comprit l'autisme, doivent bénéficier d'une approche multifactorielle : thérapeutique, éducative, pédagogique sociale et institutionnelle.

 

La sectorisation

Promulguée en 1960 avec la circulaire inaugurale de mars, la sectorisation s'est réellement développée à partir de 1970 (annexe I). La politique de secteur fut inventée pour créer un dispositif de soin de proximité sans supprimer les hôpitaux et le dispositif déjà existant. L'isolement du malade qui était, comme on l'a vu, une base théorique, se trouve au contraire avec la politique de sectorisation un facteur aliénant. Les lieux hospitaliers dispensateurs de cet isolement se transforment en lieux de soin et d'accueil ouverts sur la cité.

Depuis la loi du 25 juillet 1985 et du 31 décembre 1985 (annexe 1), la "dotation globale" revient à la charge de la Sécurité Sociale. Ceci permet à la sectorisation de devenir un projet positif, enraciné sur quelques grands principes qu'Horassuis-Jarrie (1994) résume comme suit : "la nécessité d'une continuité des soins (et de soins actifs) qui prennent en compte la dimension temporelle constitutive de la maladie mentale ; l'intégration de la dimension sociale dans le soin afin d'établir un relais dynamique avec la notion d'assistance, vieille, mais incontournable pour la psychiatrie ; enfin, la pluridisciplinarité des équipes évitant le morcellement des approches partielles et traduisant dans les faits la nécessité d'une approche globale et uniciste du malade ". En voyant le jour, l'organisation en aires de soins sectorisées favorisent donc le soin du malade et son intégration dans la communauté sociale à laquelle il appartient.

Cette période de l'après-guerre instituant le secteur extra-hospitalier est ainsi traversée par la "réhabilitation sociale" du système de soin. Goutal (1994) écrit à ce sujet qu'il s'agit de l'ensemble des pratiques "en attente de théorie" visant la sortie du champ psychiatrique, la participation réelle des malades aux échanges de la société, enfin l'accès à la " citoyenneté totale " politique, juridique et économique. La psychiatrie de secteur s'inspire ainsi à la fois de la psychanalyse et d'une vision sociale de la psychiatrie

S'agissant du secteur infanto-juvénile, la réhabilitation permettra la prise en compte de facteurs sociaux tout autant qu'une attitude de la société à l'égard des enfants malades. A titre d'exemple, cette évolution se matérialise par les nombreuses possibilités d'intégration scolaire et la mise en place de dispositifs de soin préventif (centre d'accueil médico-social, soin à domicile, prise en charge thérapeutique mère-enfant etc.).

Après ce bref aperçu historique, il me faut à présent resserrer les termes de mon étude en fonction du type d'institution dans lequel je travaille. La place des C.A.T.T.P. dans la politique de secteur sera donc l'objet du prochain chapitre.

 

 

Chap. 2 Les C.A.T.T.P. pour enfants

Figure 1 Schéma du mode d'organisation de la psychiatrie publique

Dans la partie droite de ce schéma, les flèches à trait plein illustrent les liens qui intéressent le secteur de la pédopsychiatrie.

C.H.G : Centre Hospitalier Généralisé différentié avec les Centres Hospitaliers Spécialisés

C.A.T.T.P : Centre d'Accueil Thérapeutique à Temps Partiel

 C.M.P : Centre Médico-Psychologique

 

Officialisés par l'arrêté du 14 mars 1986 (annexe 2), les Centres d'Accueil Thérapeutiques à Temps Partiel ont pour objectif de " maintenir ou favoriser [chez chaque individu] une existence autonome par des actions de soutien et de thérapeutique de groupe ". La circulaire du 11 décembre 1992 souligne l'importance de tels dispositifs de soin et d'actions diversifiées selon les âges des sujets accueillis. Ils sont donc conceptualisés avec une visée théorique qui offre des possibilités de réintégration dans le tissu social plus ouvertes qu'à l'hôpital de jour.

D'après une enquête nationale menée par Fakhri, Epelbaum et Ferrari (1995), l'organisation du secteur, les structures déjà existantes, les liens préalablement tissés avec la communauté, l'option théorique du service, la configuration géographique locale - secteur urbain ou rural, défavorisé ou non -, les moyens financiers etc., sont autant de critères définissant la spécificité de chaque C.A.T.T.P. Ainsi, des disparités importantes de fonctionnement sont observées entre les nombreux C.A.T.T.P. déjà mis en place (en 1988, on en recensait déjà plus de quatre cents !). Cette hétérogénéité rend compte de la définition très ouverte assignée à ces centres - menant des pratiques diverses -, mais aussi de la variété des types d'organisation de soins auxquels chaque centre est rattaché.

C'est à partir de ce constat que Misès (1990) souligne la multipolarité et la souplesse de fonctionnement des C.A.T.T.P., permettant ainsi de privilégier les éléments de l'expérience vécue : "d'une part, ceux relatifs à la structure psychique de l'enfant ; d'autre part, les paramètres relatifs au contexte environnemental de l'enfant : l'objectif essentiel consiste à favoriser, au mieux, certes, le retour ou le maintien dans la communauté mais aussi parfois à dédramatiser certaines situations, en offrant à des parents réticents aux soins pour leur enfant un temps d'observation et de réflexion ".

L'accueil régulier mais limité dans le temps des enfants permet de proposer des soins mieux acceptés, offrant ainsi une certaine latitude qui n'exclut pas pour autant le prolongement d'une prise en charge inscrite alors dans une continuité. Certaines expériences comme celle de Hochmann à Villeurbanne, s'inscrivent dans un dispositif "en réseau" prenant en charge des pathologies plus sévères (psychotiques notamment) en favorisant une diversité de méthode (de une heure d'accueil quotidienne à plusieurs journées hebdomadaires) et de clientèle (des tout-petits aux adolescents). Quelle qu'en soit les modalités d'accueil, soulignons surtout le fait que les C.A.T.T.P. permettent à l'enfant d'éviter le rejet du circuit scolaire ou familial.

Pour Diatkine (1982), les C.A.T.T.P. doivent permettre aux soignants de prendre le temps d'observer : repérer chez l'enfant les aspects structuraux promoteurs de changement afin de favoriser au mieux l'évolution de chacun. Dans le même temps, cet accueil pourra déboucher sur d'autres types de soin - hôpital de jour, psychothérapie individuelle, psychodrame et, lorsque cela est possible, retour à une scolarisation normale. Pour Misès (1990), deux paramètres sont à prendre en compte, d'une part celui relatif à la structure psychique de l'enfant et d'autre part celui relatif au contexte environnemental de l'enfant. L'objectif consiste en un retour ou un maintien de l'enfant dans la " communauté sociale ".

Selon l'étude de Fakhri, Epelbaum et Ferrari (1995), les pathologies les plus fréquemment rencontrées dans les C.A.T.T.P. sont la dysharmonie évolutive psychotique, les troubles de la personnalité et les psychoses. Ces structures se donnent ainsi pour optique d'accueillir des enfants gravement atteints afin d'amorcer un processus de soin en collaboration avec les familles. Il s'agit d'un travail de réassurance et de mobilisation, - parfois préalable à des soins plus " lourds " - et qui peut trouver un écho dans les difficultés d'intégration et d'apprentissage scolaires de l'enfant.

A ce stade de mon travail, je me permets une digression : il existe, me semble-t-il, une étroite intrication entre la problématique de transformation ou de création de structure de soins - comme on a pu le voir précédemment dans le chapitre consacré à l'historique - et celle des pratiques cliniques et éducatives. Nous nous retrouvons toujours face à ce fameux " premier paradoxe " décrit par Graber (1989), paradoxe propre à la pédopsychiatrie dans l'impossible différentiation entre travail clinique et travail d'éducation ou " d'assistance ". Sans doute est-ce ici que l'on se rend le plus compte de l'intérêt de la sectorisation, qui deviendrait efficace dès lors que les différents acteurs de l'éducation et de la thérapeutique de l'enfant travailleraient de concert. Mais y parviendrons-nous un jour ?

Avant de conclure ce chapitre, il me faut dire un mot sur les conditions générales de fonctionnement des C.A.T.T.P. Matériellement, ces structures peuvent être implantées dans des locaux spécifiques ou dans les mêmes locaux qu'une autre structure de soin (hôpital de jour, CMP, etc.). Ils peuvent fonctionner à temps plein ou à mi-temps mais la prise en charge des patients ne peut se faire que de manière partielle et discontinue. Celle-ci succède quelquefois à une prise en charge à l'hôpital de jour ou au CMP et requiert alors de tenir compte de ce passé thérapeutique dans un souci de cohérence. Je propose à présent de décrire plus spécifiquement le C.A.T.T.P. dans lequel je travaille depuis quatre ans.

 

 

Chap. 3 Le C.A.T.T.P. de Vénissieux

Le C.A.T.T.P. dans lequel je travaille est situé au milieu du quartier des Minguettes. Construite sur une colline à l'est de la périphérie Lyonnaise, cette banlieue apparaît comme un des vestiges des vicissitudes de l'économie françaises, témoin d'un "modèle français d'intégration" (Begag, 1994). Les Minguettes représentent l'échec patent du pari architectural et urbain des années 60, avec ses grands ensembles accueillant une population composée essentiellement d'immigrés. A cet égard, Touraine (date 1974) décrit fort bien le passage d'une société verticale - que nous avions l'habitude d'appeler société de classe - à une société horizontale où l'important est de savoir si l'on est au centre ou à la périphérie. " L'affaire n'est plus aujourd'hui d'être " up or down " mais " in or out " ", écrit Touraine. La ville est ainsi opposée à la banlieue dans un couple de représentations au sein duquel la première incarne un type de société de civilité et d'urbanité que la seconde aurait détruite (Dubet, 1992).

Au 14 de l'avenue Jean Cagne, se trouve le C.A.T.T.P. au deuxième étage d'une longue " barre " d'appartements étendue sur un dizaine d'entrées et haute de cinq étages. Une grande avenue où la circulation est abondante sépare ces habitations d'un centre commercial, centre névralgique des Minguettes. Tous ces bâtiments se trouvent entourés de grandes étendus d'asphalte que sont les parkings, où il se passe, si ce n'est l'essentiel, tout du moins une bonne partie de la vie de la cité, de jour comme de nuit. Au rez-de-chaussée du 14, on y trouve deux associations, l'une dite humanitaire, l'autre d'aide à la réinsertion. Bien souvent, le plain-pied de ces " barres " est occupé par de telles associations ; les autres appartements du rez-de-chaussée sont souvent inhabités, les couloirs étant investis par les jeunes du quartier qui en font l'hiver leur territoire d'occupation au même titre que le sont les parkings l'été. Poursuivons notre visite. A l'intérieur du C.A.T.T.P., l'appartement s'organise en trois pièces dont nous apprécierons plus loin leur utilisation auxquelles s'ajoutent un vestiaire - ancienne salle de bain -, un W-C et une cuisine.

Le C.A.T.T.P. accueille des enfants, uniquement les après-midi et le mercredi matin. Il propose un temps de soin en groupe une à deux fois par semaine, entre le temps de l'école et le retour à la maison. Cette prise en charge groupale s'étend invariablement sur une durée de deux ans. Trois groupes thérapeutiques fermés sont organisés chaque année. Chaque groupe est composé de six enfants (au maximum) et ne peut être élargi pendant la durée du soin (deux ans). Les deux groupes d'enfants avec lesquels je travaille en tant qu'éducateur - en compagnie d'une infirmière et d'une éducatrice - se réunissent pour l'un lundi et vendredi, pour l'autre mardi et jeudi. L'équipe soignante est composée d'une psychiatre, d'une infirmière, d'un psychologue et de deux éducateurs. Une secrétaire et une surveillante-coordinatrice du secteur viennent compléter le dispositif.

Il me semble important de préciser les lieux, les espaces et les temps qui jalonnent la vie des groupes bihebdomadaires sur lesquels j'interviens : 1. Le " camion " est non seulement un moyen de transport des enfants - de l'école au C.A.T.T.P. -, mais aussi un premier espace d'échange où sont présents deux soignants pendant que le troisième prépare le goûter. 2. Le goûter avec les enfants en présence des trois soignants (l'infirmière, l'éducatrice et l'éducateur que je suis). 3. Un temps de réunion, d'échanges pendant lequel toute l'équipe soignante est présente : psychiatre, psychologue, infirmière, éducateurs. 4. Une séance d'activités ludiques avec les trois soignants sus-cités. 5. Un temps de lecture dans la bibliothèque avec toujours la même équipe de trois ; 6. La fin de séance à dix-huit heures : les enfants sortent de la bibliothèque pour attendre leurs parents, lesquels sont accueillis dans le hall d'entrée par le médecin et/ou le psychologue.

Notre C.A.T.T.P. accueille des enfants âgés de 5 à 12 ans, dont les difficultés s'expriment plus particulièrement dans le comportement et la difficulté à apprendre. La proposition de soin est faite à la suite de plusieurs consultations préliminaires avec l'enfant et ses parents. Tout au long de la prise en charge de l'enfant, la participation des parents est, autant que possible, prolongée par des rencontres régulières avec la psychiatre et le psychologue.

Le type de soin proposé s'adresse à des enfants à un âge où les interactions avec l'entourage (parents, milieu social...) sont essentielles. L'étayage par le groupe thérapeutique (avec jeux et livres comme objets médiateurs) évitant l'angoisse d'une relation par trop duelle pourrait - sous une forme condensée - résumer la spécificité du soin à temps partiel. L'aller-retour de l'enfant - entre son cadre de vie habituel et son espace thérapeutique - favorise de ce fait un travail sur la discontinuité, la séparation et l'autonomie. Ces aspects seront repris ultérieurement, en particulier la question du rythme des temps d'absence et de présence reposant sur le couple continuité/discontinuité temporo-spaciale.

 

 

Chap. 4 Questions psychopathologiques

Dès lors que nous parlons clinique, il m'apparaît incontournable de poser le champs théorique de la psychopathologie en psychiatrie. Cette question ne peut s'agrémenter des seuls aspects sémiologiques et nosographiques. L'approche clinique à laquelle notre équipe de travail se réfère trouve sa source essentielle d'inspiration dans la métapsychologie freudienne.

 

Les enjeux de la psychopathologie

Rappelons, comme le fait Wolf (1998), que lorsque Descartes publie le Discours de la méthode (1637) ou le Traité de l'âme (1649), il reconnaît implicitement qu'une part de subjectivité est toujours nécessaire pour comprendre une manifestation pathologique. Dans cette perspective, la psychopathologie est une psychologie du pathologique. Elle étudie les manifestations morbides de la vie mentale et occupe par rapport à la psychologie une place analogue à celle de la pathologie à l'égard de la physiologie. " La clinique lui fournit les matériaux, la psychologie le cadre dans lequel elle les range " (Minkowski, 1966). C'est parce que la psychopathologie touche de près à " l'humain en souffrance " qu'elle peut servir de guide à la psychologie. Ainsi, pour Binswanger - un des pionniers de l'approche phénoménologique en psychopathologie, ce n'est plus être " malade " qui sert en premier lieu de porte d'entrée à nos investigations, mais être " différemment ".

Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que se pose la question de la méthode inspirée par la biologie dans une tentative de classification des maladies. Ainsi naît la nosographie et avec elle l'on se rend compte combien il devient difficile de distinguer et de ranger des symptômes quand on ne dispose pas de théorie pour comprendre ceux-ci et leur origine. " On comprend qu'une nosographie sans nosologie (doctrine sur la maladie) est difficilement concevable". Je rejoins le point de vue de Fédida (1994) selon lequel l'objectivité d'une approche psychopathologique concerne à la fois le malade, la recherche et la formation du soignant. Fédida me paraît en outre bien poser le problème lorsqu'il se demande si un cas psychopathologique n'est pas en fait une théorie " en puissance ".

On a vu dans l'historique précédemment retracé le rôle dévolu à la dégénérescence. Celle-ci ne vise aucunement un fait psychopathologique précis sur lequel le clinicien pourrait fixer son regard. S'il en est ainsi, ce fait efface entièrement l'image de dégénérescence et devient en lui-même l'objet de l'investigation psychopathologique. En clinique psychiatrique par exemple, on situe les faits dans le temps et ensuite se pose l'enchaînement d'un ensemble d'éléments anamnestiques : antécédents, étiologie, début, évolution auxquels s'ajoutent dans un après-coup le diagnostic et le pronostic. La maladie a son histoire et vient s'inscrire dans celle de l'individu avec pour point de mire, dans la tradition kraeplinienne, la prise en compte de l'évolution de son processus pathologique. Forte d'une telle conception, la controverse entre syndrome ou maladie se révèle caduque : " il faut aller plus loin, écrit Ey (1963), et s'il n'est pas nécessaire de considérer les psychoses comme des maladies, il n'est tout de même pas suffisant de les définir comme des syndromes ".

Un virage s'imposera avec l'avènement de la psychanalyse. Que le sceau de la métapsychologie freudienne ait bousculé la " donne " étiologique a immanquablement infléchit le champ équivoque de la psychopathologie contemporaine. Sans toutefois parvenir à imposer - dans le domaine de la psychiatrie - une nosographie sur le critère pathognomonique de l'organisation de l'appareil psychique, Freud a contribué à affiner la compréhension des différentes pathologies en mettant en relief les mécanismes psychiques qui président à leur apparition. Pour autant, la psychogenèse n'épuise pas la question étiologique et force est d'admettre le pluralisme des approches de la psychopathologie actuelle. Wolf (1998) classe les différentes approches comme suit : l'organo-dynamique de (Ey) ; la psychopharmacologie (Pichot, Deniker) ; la phénoménologie (Minkowski, Tatossian...) ; la psychologie dynamique comme application de la psychanalyse ; la psychopathologie transgénérationnelle (Guyotat).

La clinique psychiatrique vient aujourd'hui souvent mettre en garde la psychopathologie contre ses entraves théoriques. Cet écueil viendrait en effet abolir l'écart pourtant irréductible entre théorie et pratique. Le risque de la psychopathologie serait alors double : d'une part, réduire la pratique à la mise en œuvre d'une théorie sous-tendue par des choix de valeur non assumés comme tels - il s'agirait alors d'" un totalitarisme de la théorie " ; d'autre part dévoyer la théorie dans l'arbitraire de " l'empirisme naïf " (Brusset, 1994).

J'aimerais conclure cette première partie en évoquant succinctement les apports de la phénoménologie et du structuralisme. J'ai en effet réalisé que les modes d'approches que l'une et l'autre promeuvent sous-tendent ma pratique plus que je ne l'imaginais

 

L'approche phénoménologique

Dans la voie ouverte par Jaspers, la phénoménologie a enrichi la psychiatrie par une pensée philosophique développée initialement par Husserl et Heidegger en proposant de décrire l'essence même des phénomènes. Sous la forme d'un paradoxe épistémologique, la psychopathologie phénoménologique a pour ambition " d'appliquer à un domaine d'expérience une démarche inspirée de la philosophie [...]. L'ambition d'un auteur comme Binswanger, est de fonder rigoureusement la psychiatrie comme science en elle même, en étudiant directement l'essence des troubles mentaux, sans les réduire en éléments biologiques, psychiques ou sociologiques " (Houzel, 1994).

Ainsi, cette approche privilégie un mode de perception prenant en compte l'expérience du patient ainsi que celle du clinicien, non pas de façon introspective, mais dans un effort d'élucidation de " l'être-au-monde " de l'un et de l'autre. En fin de compte, la phénoménologie - au même titre que la psychanalyse - contribue moins à façonner la sémiologie et la nosographie psychiatriques qu'à proposer une autre façon de penser la clinique. Le " regard " du clinicien est en effet déplacé et se porte sur le rapport que le sujet entretient avec le monde. C'est en repérant chez celui-ci les moments structuraux constitutifs de l'altération de son rapport au temps et à l'espace que le Dasein - en d'autres termes " l'être-au-monde " du sujet - révèle toutes ses arcanes. Comme le dit Brusset (1994), la phénoménologie est à la base de toute clinique psychiatrique et psychanalytique, en ce sens qu'elle invite le clinicien à dépouiller son observation de théories préétablies.

 

Le structuralisme

 " Issue d'un mouvement de pensée philosophique, puisque s'inscrivant dans une démarche épistémologique, la structure sert de modèle de réponse à des questions relatives au développement de la pensée humaine dans des domaines très différents, mais s'attachant tous à l'étude de productions humaines " (Chabert, 1994). L'idée de structure vient de ce que l'objet, pour être connaissable, doit être saisi dans un tout. La pensée des structures telles qu'elles se révèlent à elles-mêmes à travers les sciences humaines préside à une telle approche. " Ainsi, l'événement n'a pas de signification en soi mais ne prend son sens qu'en tant qu'élément solidaire d'une totalité qui le contient, certes, mais dont il est partie constituante " (Chabert, 1994).

Le structuralisme m'intéresse au sens où il pose la question des origines : des langues, des rituels sociaux, de la pensée ou de la maladie. C'est une lecture de l'histoire, mais aussi une lecture de l'analyse freudienne. Parce que la structure n'est pas consciente, le linguiste, l'historien, l'économiste, le sociologue, l'ethnologue ou encore le clinicien dans ses observations, faussent les résultats par leurs interactions avec les faits observés.

L'apport du structuralisme en psychanalyse est venu nous signifier qu'au delà de ce qui constitue notre rapport au monde, " un Autre lieu existe " (Safouan, 1968). Selon cet auteur, la psychanalyse est la découverte d'un lieu, celui de l'inconscient, et d'une dynamique qui se déroule et se noue autour du complexe d'Œdipe et plus spécialement autour de son moment essentiel, la castration. " L'Œdipe n'est pas le mythe où se dénudent ses lignes de force, et encore moins le drame qu'il détermine dans le vécu de chacun, mais une structure selon laquelle s'ordonne le désir dans la mesure où il constitue un effet du rapport de l'être humain, non pas au social, mais au langage " (Safouan, 1968). Ajoutons cependant, pour conclure ce bref abord du structuralisme, que Chabert (1994) dénonce le caractère réducteur de cette approche dans la mesure ou celle-ci " extrait un trait général dont elle fait un signe dans un cadre où ce signe vient signifier, avec d'autres, le diagnostic ".

Il y aurait bien sûr lieu de développer plus amplement ces différentes approches, mais je courrais alors le risque de les désincarner d'une réalité et, ce faisant, de m'éloigner du sujet principal de mon étude. Décrire les soubassements historiques, cliniques et théoriques consubstantiels à ma pratique, tel était la vocation de cette première partie. Il convient à présent de plonger dans le vif de mon sujet et par conséquent de dépeindre concrètement une situation clinique. C'est à partir de celle-ci que je mettrai en travail la problématique centrale de mon étude.

 

 

 

Deuxième partie

UNE PRATIQUE DE L'HORS

 

 

D'un accident de la circulation à une " circulation-web ", d'où me vient cette envie de parler de l'hors ?

Dans un moment " non choisi " d'inactivité, les réactions de mon dernier jury F.P.P. se sont mises au travail " à mon insu " si je puis dire. En effet, entre le moment d'écriture d'un dossier et un autre, c'est souvent sans objectif concret que l'on se hasarde à la lecture, selon ses souhaits, ses envies et ses orientations épistémologiques. Ce n'est qu'en fin de parcours, c'est-à-dire en instruisant un autre dossier, qu'il est intéressant d'y découvrir un lien. D'un fil alors d'arcanes, il devient celui d'Ariane. A bien y regarder, cette fille de Minos et de Pasiphaé issue de la mythologie grecque, me happe plus vite que je ne le pensais vers le thème qui me tient à cœur : après que Thésée ait tué le Minotaure, c'est elle qui lui donna le fil à l'aide duquel il put sortir du Labyrinthe. S'en extraire.

Evitons cependant les extractions par trop abusives de la digression... Ce dont j'aimerais parler, c'est d'une pratique que je nommerai, sans aucun néologisme, une pratique de " l'hors ". Il me semble intéressant de formuler une pratique professionnelle "au négatif " en les termes d'une extraction (-1) (du latin extractus : action d'extraire, d'arracher). Il s'agit ici d'une topologie, celle d'un lieu, celui de l'" ex-sistence " de " l'hors ". Précisons que par " ex-sistence ", je fais allusion à Lacan (1966) qui, corrélativement à la chaîne signifiante, se réfère par ce terme " (soit : de la place excentrique) " au sujet de l'inconscient. Ces aspects survolés feront l'objet d'un développement ultérieur.

Autre temps, autre scène : dans le jeu de Fort-Da décrit par Freud (1921), un enfant joue avec une bobine. Il la fait disparaître derrière un siège par exemple et dit " Fhooor " ; il la fait revenir et dit " Dààà ". Par traduction franco-allemande, il me semble possible de dire qu'un jeune francophone usant de cette ficelle vocaliserait : "là hors là hors là hors...".

Quel est-il cet " hors " ?

Le premier " hors " dont je voudrais parler, aussi simplement que possible, est celui que j'ai moi-même vécu. Non pas le premier de mon existence dans les périodes de mon enfance, mais plutôt le dernier en date, au début de l'année 1999 au cours duquel un accident de la circulation m'extrayant du monde sensible, me plongea brutalement dans un comma subséquent à un traumatisme crânien. Ce sont les sept mois d'absence professionnelle dont il m'importe de rendre compte ici. Parce que cet " hors-temps " a beaucoup compté dans mon processus de Formation à Partir d'une Pratique " de l'hors ". Un laps de temps, une mise hors du champ institutionnel de ma pratique qui ne faisait que traduire un " hors " de moi - on pourrait aussi dire un " hors du Moi ".

C'est donc avec cet " hors ", certes polysémique - mais pour lequel il convenait d'évoquer mon point de départ -, que je tente aujourd'hui d'introduire ce sujet à travers une analyse que je nomme " plurielle " par son aspect transitif et multiple.

Mais partons tout d'abord du cas clinique que j'ai choisi de retenir.

 

Chap. 1 Le cas Idir

Habituellement, la moitié de mon temps de travail est consacré à l'hôpital de jour et l'autre au C.AT.T.P. Lorsque j'ai réintégré mon poste de travail suite à mon absence de sept mois, je l'ai uniquement fait à mi-temps au C.A.T.T.P. Je fais alors la connaissance d'un groupe nouveau qui se réunit le lundi et le vendredi et qui a commencé un peu avant les vacances d'été avec six enfants. S'agissant de ce groupe, je n'ai pas été remplacé pendant le temps de mon absence et celle-ci était signifiée par une chaise vide.

 

Premier contact avec le groupe

Ma première rencontre avec ce groupe s'est faite un lundi. Mes deux collègues étaient allés chercher les enfants à l'école pendant que je préparais le goûter au C.A.T.T.P. Le premier " bonjour " dans la pièce d'entrée est furtif ; les enfants arrivent séparément et jettent leur cartable sur le sol avant de se précipiter dans la cuisine pour voir le goûter qui leur a été préparé. Après mes six " bonjours " nominatifs, je les rejoins à la cuisine pour emmener le plateau du goûter dans la salle principale. Nous nous retrouvons tous autour de la table et les enfants me regardent subrepticement. L'un d'eux lancera : " c'est toi le monsieur ? ". Je réponds par l'affirmative en précisant mon prénom et le fait que je suis le " monsieur " du groupe qui travaillera avec eux, au même titre que l'infirmière et l'éducatrice.

 

Idir

 Pour l'étude de ce cas clinique, j'ai choisi de m'intéresser avant tout à un des enfants du groupe que j'appellerai Idir - et son frère Yves - afin de préserver leur anonymat. Mon premier contact avec Idir a lieu en fin d'après-midi à la bibliothèque. Idir me demande : " tu connais Yves toi ?, il est à l'hôpital ". Tout d'abord surpris par sa question, j'hésite un moment avant de lui répondre que je travaille effectivement à l'hôpital de jour qui accueille son frère aîné. Ma gène à cet instant provient de cette question qui appelle une réponse à la frontière du publique et du privé. Ma réponse devait-elle revêtir un caractère individuel, privilégiant alors " l'ici et le maintenant " de ma relation interpersonnelle avec l'enfant ; ou au contraire devais-je m'adresser à l'ensemble du groupe, privilégiant alors la dynamique groupale ?

Ne sachant pas si Idir sait que je connais son frère, une autre question se pose à moi dont je diffèrerai la réponse : Idir sait-il que je connais son frère ou me le demande-t-il afin de savoir si je vais lui dire ce qu'il connaît déjà ? Un fil, une limite ; je me sens déjà sur cette ligne d'équilibre ou de déséquilibre avec Idir. Les événements qui s'en suivront ne feront qu'exacerber mon sentiment.

 

La claque

L'incident que je propose de décrire à présent ne me fut rapporté qu'en fin de journée par ma collègue infirmière. Il se déroule quelques séances après la première rencontre que j'ai décrite ci-dessus.

Nous sommes vendredi. Mes deux collègues sont allés chercher les enfants à la sortie de l'école. Dans le véhicule sur le chemin du C.A.T.T.P., Idir répète à tue-tête : " Tony m'a donné une claque... ". Un peu plus tard, au cour de la séance de groupe, je demande à Idir de rejoindre les autres enfants qui se trouvent dans la grande salle autour d'une activité ludique (je ne suis à cet instant nullement au courant des accusations qu'Idir a formulé à mon encontre dans le camion). Idir s'est extrait du groupe et se trouve dans le hall que je pourrais qualifier de " sas ", entre la salle où sont les autres enfants et le bureau du médecin. Il est seul, en apparence satisfait de ce statut, mais je souhaite qu'il rejoigne le groupe afin qu'il ne bénéficie pas d'un régime particulier.

Je l'invite donc à rejoindre les autres enfants ; il obtempère en maugréant et en marmonnant quelques noms d'oiseaux empreints d'une agressivité patente. Il se jette ensuite sur le casier d'un enfant (faisant partie d'un autre groupe thérapeutique) pour y déchirer quelques dessins et peintures. Je le saisis physiquement par les deux bras et l'oblige promptement à s'asseoir sur une banquette. Sans ambages, je lui rappelle alors à haute voix - de manière à ce que le reste du groupe puisse aussi entendre - quelques règles fondamentales valables pour l'ensemble des enfants : nous n'acceptons ni la destruction d'objets, ni les insultes.

Idir se met dans un état de fureur et assène d'un ton accusateur : " Tony m'a mis une claque, ça va pas, Tony m'a mis une claque, il est fou, Tony m'a mis une claque... ", tout en se dirigeant vers le bureau du médecin qui prendra le temps de l'écouter.

A partir de ces éléments descriptifs, je vais m'efforcer de comprendre les enjeux de l'implication de ma relation avec Idir. Pour ce faire, il me faut d'abord compléter mes premières observations et examiner tour à tour la place que j'occupe dans le groupe, puis celle d'Idir. Pour partial que ce choix puisse être, je laisserai de côté l'aspect institutionnel qu'un tel travail ne manque cependant pas de mobiliser.

 

 

Chap. 2 Penser l'articulation groupe-sujet

L'analyse concrète de cette situation groupale m'invite préalablement à rappeler quelques repères théoriques susceptibles d'éclairer la compréhension de mon cas. En trois étapes, j'examinerai : 1. l'apport de l'école anglaise de psychanalyse groupale ; 2. l'apport de l'école française ; 3. je m'intéresserai enfin à la spécificité du travail avec les groupes d'enfants, lesquels ne peuvent être entièrement confondus avec la dynamique groupale adulte.

 

Le courant anglais de psychanalyse groupale

Après les travaux de Freud - dont Anzieu (1984) et Kaës (1993) ont montré la fécondité à travers l'examen de textes aussi importants que Totem et tabou (1912) et Psychologie des foules et analyse du moi (1921) -, l'approche psychanalytique des groupes prend un tout autre visage dans les années 40 à Londres. Avec Bion et Foulkès - représentants principaux de l'école anglaise de psychanalyse groupale -, il ne s'agit plus alors d'étudier les foules ou les masses, mais des petits groupes avec une visée thérapeutique explicite.

Reprenant à son compte l'expression d'" esprit de corps " (initialement formulée par Freud, 1924), Foulkès (1964) appréhende le groupe comme une entité propre qui ne peut aucunement se laisser réduire à un agrégat de personnes. Il insiste également sur la notion de résonance inconsciente dans une perspective proche de celle d'Ezriel (1950), lequel utilisera pour sa part l'expression de " résonance fantasmatique ". Kaës (1993) décrit cette idée comme suit : " le fantasme d'un participant éveille et mobilise d'autres formations fantasmatiques chez d'autres participants du groupe en relation de résonance avec le premier ".

L'approche de Bion est, quand à elle, souvent assimilée aux présupposés de bases qu'il décrit dans Recherche sur les petits groupes (1961). Pour importantes soient-elles, je ne les décrirai pas ici. Il me semble en revanche utile de rappeler que son travail clinique s'inspire pour une large part des apports de Mélanie Klein. Bion insiste en effet beaucoup sur le sceau de la régression afin de comprendre les angoisses vécues par chaque participant confronté à un groupe : " L'individu aux prises avec les complexités de la vie en groupe a recours, au moyen d'une régression massive, à des mécanismes décrits par Mélanie Klein (1931,1946) comme caractéristiques des premiers stades de la vie mentale. L'adulte qui veut entrer en contact avec la vie affective du groupe affronte une tâche aussi formidable que celle qu'affronte le nourrisson dans ses efforts pour établir des relations avec le sein maternel, et l'insuccès de ses efforts se manifeste par une régression " (1961). Je reviendrai selon ce point de vue qui pourrait se révéler déterminant dans la compréhension de mon cas.

Si les orientations théoriques de Foulkès, de Bion et d'autre tenants de l'école anglaise de psychanalyse groupale eurent le mérite de prendre en compte le groupe comme une entité psychique propre - irréductible à la somme des psychés individuelles -, elles demeurent, comme le souligne Kaës (1993), " des théories où le sujet disparaît dans ce qui le singularise ". L'approche des cliniciens anglais de cette époque témoigne en effet bien de cette carence : leur interprétation porte sur le groupe et seuls ses effets sont escomptés sur l'individu dans un après coup, sans que soit analysé le lien personnel que chacun entretient avec le groupe. Il faut attendre l'essor de l'école française de psychanalyse groupale pour que soit réellement pris en compte l'articulation sujet-groupe qui nous intéresse ici.

 

Le courant français de psychanalyse groupale

 L'école anglaise, contemporaine de l'essor de la psychologie sociale américaine, ne s'était qu'implicitement démarqué d'une approche telle que celle de Lewin - autour de la dynamique de groupe. Les psychanalystes groupaux français (à partir des années 60) auront au contraire à cœur d'inscrire leurs idées dans un mouvement de rupture - Anzieu insistera sur l'insuffisance de l'étude des processus secondaires à laquelle se restreignaient des chercheurs comme Lewin ou Sherif -, mais aussi dans un mouvement de retour aux textes freudiens.

Bien sûr, il me faut parler d'Anzieu et de Kaës, mais on ne peut perdre de vue que c'est à Pontalis que l'on doit l'idée d'assigner au groupe le statut d'objet. " Il ne suffit pas de déceler les processus inconscients qui opèrent au sein d'un groupe, écrit Pontalis (1963), tant qu'on place hors du champ de l'analyse l'image même du groupe avec les fantasmes et les valeurs qu'elle porte, on élude en fait toute question sur la fonction inconsciente du groupe ".

Parmi les nombreuses propositions soutenues par Anzieu, je n'en retiendrai qu'une ici : le concept d'enveloppe psychique. Deux sources d'inspiration l'incitent à déployer cette notion : 1. ses réflexions sur le Moi-peau qu'il élaborera d'abord à partir de son expérience de la pratique de la cure ; 2. la notion de double-limite introduite par Green (1982) : limite interne reposant sur le clivage conscient-inconscient, limite externe séparant les champs intrapsychique et intersubjectif.

Parce que ce champ intéresse au plus haut point mon sujet, je cite in extenso un extrait du texte Le groupe et l'inconscient (1984) dans lequel Anzieu étend au groupe la notion d'enveloppe psychique. Celle-ci est définie comme une membrane à double face : " L'une est tournée vers la réalité extérieure, physique et sociale, notamment vers d'autres groupes, semblables, différents ou antithétiques quant au système de leur règles et que le groupe va considérer comme des alliés, des concurrents ou des neutres. Par cette face, l'enveloppe groupale édifie une barrière protectrice contre l'extérieur. S'il y a lieu, elle fonctionne aussi comme un filtre des énergies à accueillir et des informations à recevoir. L'autre face est tournée vers la réalité intérieure des membres du groupe. Il n'y a de réalité intérieure inconsciente qu'individuelle, mais l'enveloppe groupale se constitue dans le mouvement même de la projection que les individus font sur elle de leurs fantasmes, de leur imagos, de leur topique subjective ". Nous apprécierons un peu plus loin cette approche conjointement à mon étude clinique.

Dans le prolongement des réflexions de Anzieu, Kaës franchira un pas de plus en soutenant la thèse d'un appareil psychique groupal. En s'intéressant aux chaînes associatives groupales doublement déterminées (par les énoncés des membres du groupe et par une " pensée groupale "), il appuie sa conceptualisation de l'appareil psychique groupal sur un terme souvent galvaudé, l'effet de groupe, qu'il a le mérité de définir ainsi : " une région de la réalité psychique qui n'acquiert sa valeur et sa consistance que d'être lié au groupement des sujets qui le constituent : elle subsiste en dehors de leur singularité " (1993).

Mais ce qui m'intéresse en premier lieu, c'est de comprendre l'articulation de l'intrapsychique et de l'intersubjectif rendue intelligible par l'appareil psychique groupal. Kaës soutient l'hypothèse suivante : " La réalité psychique du niveau du groupe s'appuie et se modèle sur les structures de la réalité psychique individuelle, notamment sur les formations de la groupalité intrapsychique, celles-ci sont transformées, agencées et réorganisées selon la logique de l'ensemble. C'est dire que le groupement lui-même impose des exigences de travail psychique commandées par son organisation, sa maintenance, sa logique propre. Il en résulte des formations et des processus psychiques qui peuvent être dénommés groupaux, dans la mesure où ils ne sont produits que par le groupement. Le groupe, dès lors, est à penser comme l'appareil de cette transformation de la matière psychique, le lieu de sa transmission ".

Soulignons donc que si Kaës reconnaît une réalité psychique propre au groupe, ce n'est pas dans un effacement du sujet (contrairement à l'approche de Foulkès), mais au contraire dans sa restauration comme " acteur agi dans cet appareillage ". Entendu comme un appareil de transformation de la réalité psychique entre les sujets d'un même groupe, l'appareil psychique groupale permet ainsi de penser l'articulation sujet-groupe étayé sur l'appareil psychique individuel qui, selon Kaës, est lui-même constitué de formations qui répondent à des caractéristiques groupales (" Le groupe est un déjà là du côté du sujet ").

Après ce bref aperçu dont certains aspects seront repris là où ils pourront nourrir mon étude clinique, il convient d'examiner la spécificité du travail avec les groupes d'enfants. Il ne faut en effet pas perdre de vue que les approches sus-citées reposent essentiellement sur l'observation de groupes d'adultes (à l'image des groupes de diagnostic mis en place par Anzieu) dont les conclusions ne peuvent être étendues aux groupes d'enfants sans que soit mise en évidence la spécificité de ces derniers.

 

La spécificité du travail avec les groupes d'enfants

A l'évidence pouvons-nous rappeler que si l'adulte se présente comme un être d'une certaine manière " abouti ", " achevé " - comme le suggère le terme latin adultus (par opposition à adolescere : croître) -, l'enfant au contraire est dans un processus en mouvance permanente - c'est du reste ce développement " en devenir " qui amène Boubli (1999) à évoquer la plasticité de la psychopathologie de l'enfant. Mais voilà, asséner ce constat n'éclaire que trop partiellement la différence entre groupe d'enfants et groupes d'adultes. La distinction que je souhaiterais surtout introduire ici concerne les pratiques thérapeutiques. Il existe en effet une différence tout à fait significative entre psychothérapie groupale pour adultes et psychothérapie groupale pour enfant. Celle-ci est liée, me semble-t-il, à une difficulté heuristique que - par conséquent -seule ma confrontation au terrain m'a permis de découvrir.

Ma pratique au C.A.T.T. P. se réfère, pour partie, aux théories des " groupes d'Auxerre " du Centre d'Information et de Recherche en Psychologie et Psychanalyse Appliquées (C.I.R.P.P.A.) - notre psychologue s'est formé dans ce centre. A l'origine, le premier congrès national de psychothérapies de groupe d'enfants s'est déroulé à Auxerre en juin 1988. Depuis cette date, ce groupe de psychothérapeutes vient asseoir une pratique thérapeutique des groupes d'enfants à part entière.

Ferrari (1989), un des fondateurs du C.I.R.P.PA., explique qu'il existe deux courants " d'expériences thérapeutiques nouvelles " : l'un aux Etats-Unis qui considère " l'expérience groupale vécue par l'enfant comme une expérience à valeur de pédagogie correctrice " ; l'autre approche (dans laquelle se reconnaît le C.I.R.P.P.A.), " prétend prendre en compte plusieurs dimensions de nature authentiquement psychanalytiques comme l'interprétation, le transfert, l'inconscient individuel, l'imaginaire groupal et la circulation fantasmatique à l'intérieur du groupe thérapeutique ".

L'essence même du travail thérapeutique en groupe pour des enfants passe davantage par " un travail d'accompagnement du fonctionnement mental de l'enfant, travail destiné moins à interpréter les contenus fantasmatiques sous-jacents aux comportements qu'à sensibiliser l'enfant à ses processus de pensée ; processus qui s'accompagnent, précèdent ou suivent son activité groupale ". Ferrari (1989) traduit bien ce travail thérapeutique d'enfants qu'il me faut examiner succinctement.

Au C.A.T.T.P. de Vénissieux, nous sommes cinq soignants comme je l'ai indiqué précédemment. Notre équipe se réfère en partie aux théories des groupes psychothérapeutiques développées par le C.I.R.P.P.A., mais elle y apporte aussi une évolution dans son élaboration théorico-clinique propre à son histoire humaine et institutionnelle. Ce qui me semble réunir les projets des divers C.A.T.T.P., c'est une visée commune centrée sur l'individu et non sur le groupe, lequel n'est qu'un moyen, un outil pour aider le sujet.

Avec Bion, nous avons pu apprécier l'importance des phénomènes régressifs dans les groupes d'adultes. Ils ne me semblent pas moins importants à propos des groupes avec lesquels je travaille et viennent en écho à une " carence " identificatoire des enfants accueillis, souvent préjudiciable à leur économie narcissique. Les situations groupales que nous proposons par le biais de médiations (ludiques, artistiques...) se veulent de revêtir une fonction narcissisante pour l'enfant. La vocation de nos groupes est précisément d'aider à un processus de re-narcissisation par la voie des identifications. L'enfant " plongé " dans le groupe thérapeutique vit une régression et c'est justement grâce à celle-ci que des réaménagements identificatoires apparaissent.

Costes (1989) écrit à ce sujet que la double singularité de la régression groupale est : " i) de demeurer très circonscrite au cadre ; plus exactement d'être " contenue " par le cadre et le thérapeute ; ii) et d'être partagée par les autres membres du groupe, psychothérapeutes inclus ". C'est me semble-il en ces deux points que réside la spécificité du travail que nous menons dans nos groupes thérapeutiques. D'une part nous nous efforçons d'organiser avec rigueur la gestion de notre cadre en différents espaces-temps comme je l'ai décrit dans la première partie de mon travail. D'autre part nous sommes en tant que soignants " affectivement " impliqués dans une démarche à laquelle nous ne pouvons nous dérober.

Ce dernier aspect qui engage ma position de soignant me convoque à une autre facette de cette réalité que je ne peux perdre de vue : avant même de parler de groupe d'enfants, un groupe se constitue préalablement : celui d'une équipe soignante. Cette réalité vient souligner une dimension historique qui ne peut qu'infléchir les processus groupaux vécus avec les enfants qui ont été " groupés " par un groupe préalable. Un groupe " groupe " : cette remarque tautologique n'est pas fortuite et dévoile ses arcanes dès lors qu'est prise en compte la question cruciale des moments structuraux de la constitution groupale. Sans histoire, sans origine, un groupe participerait d'un " roman groupal " qui soutiendrait l'utopie d'une parthénogenèse selon laquelle le groupe s'auto-engendrerait par un " pacte renouvelé de commencement absolu " (Anzieu, 1971). Bien sûr il n'en est jamais ainsi, à moins d'être plongé dans une illusion groupale exacerbée au point de déployer les mécanismes du déni : déni des origines, de la loi, du principe de réalité. Mais même sans aller jusque-là, un groupe peut vite se proposer fantasmatiquement d'être ce lieu hors du temps.

Je fais l'hypothèse - je l'étayerai ultérieurement - que le groupe préalable au groupe d'enfants - dès lors qu'il [le groupe-soignants] s'assume en tant que tel - permet à l'enfant de se repérer dans une temporalité et de maintenir l'espace de ses fantasmes originaires. Plusieurs fois ai-je d'ailleurs constaté à quel point notre équipe de soignants pouvait altérer la réalité psychique du groupe d'enfants, dès lors qu'il se produisait un événement en son sein. Mon retour au C.A.T.T.P. après une absence de sept mois en est un exemple frappant et j'essaierai, dans le prochain chapitre, d'en mesurer les effets.

 

 

Chap. 3 D'un temps groupale à une problématique individuelle

Il est un sujet qui tisse sa trame dans la toile de fond de mon étude et qui, à sa façon, donne sens aux béances de l'extraction. Je regarderai cela plus précisément dans la dernière partie de ce travail. Véritable fil conducteur de ces pages, le temps est comme un langage du groupe façonnant la temporalité de chacun de ses membres. Impossible de s'en extraire, difficile de le qualifier au milieu des continuités et des hiatus de la vie d'un groupe thérapeutique.

En l'occurrence s'agissant du groupe qui m'intéresse ici, je fais d'abord référence à une succession de moments qui ont jalonné sa vie en mon absence et en ma présence. 1. Ma place dans le groupe, 2. celle d'Idir, 3. la relation que nous avons tous deux entretenu : tels sont les trois lignes de forces que je propose de développer dans ce chapitre avec pour point de mire la question indissoluble du temps.

 

Ma place dans le groupe.

 Mon arrivée dans le groupe faisait donc suite à une absence ou plus exactement à une présence/absence. Mon absence était en effet représentée dans le groupe par la présence symbolique d'une chaise vide dans la salle principale. Pour le groupe de soignants, ma venue était un retour ; pour le groupe d'enfants il s'agissait de l'arrivée d'une personne qu'ils ne connaissaient pas. Enfin, pour ma part, ce retour ressemblait à s'y méprendre à mon arrivée au C.A.T.T.P. il y a quatre ans. A cette époque, l'équipe de soignants attendait un " homme " pour remplacer un ancien éducateur devenu psychologue. Et déjà, ma venue annoncée aux enfants était signifiée par une chaise vide.

Je ne peux m'empêcher de voir dans cette chaise vide - représentation externalisée de l'absence tout autant que de la présence - la figure " sans visage " d'un fantôme qui s'inscrit dans la temporalité d'un autre. Je dis d'" un autre " parce qu'étrangement, l'idée fantomatique - fantasmatique - d'un moi qui n'est pas moi ne m'a pas quitté même à mon retour dans le groupe. La manière avec laquelle mon absence/présence avait été figurée - sans figure - agissait comme une chape de plomb m'empêchant d'une certaine manière d'être vraiment là. Disons le tout de suite : j'éprouve une difficulté considérable à évoquer ma place dans le groupe précisément parce que j'existais dans ce groupe sans le connaître - à l'exception des soignants. Aussi m'est-il impossible de commenter ma place dans le groupe pendant le temps de mon absence. Pourtant n'est-ce pas précisément pendant ces moments d'absence que se sont fixées les premières inscriptions latentes qui allaient infléchir les événements de mon arrivée ? Entendons-nous bien car je ne voudrais pas que l'on se méprenne sur mes propos : loin de moi est l'idée de sacraliser les termes de mon absence. Que je le veuille ou non, celle-ci avait été signifiée. Ce faisant, elle introduisait dans le groupe la dimension d'une attente. Il me faudra donc essayer de comprendre à quelle prédisposition groupale présidait cette attente. Du fait de mon absence, ma tentative d'explication ne pourra qu'être menée sur un mode spéculatif. Avant de m'y atteler, je propose de décrire la manière avec laquelle j'ai vécu mon retour dans le groupe.

Ma venue dans le groupe m'amène à évoquer des sentiments partagés entre l'inquiétude et la joie à l'idée de rencontrer ce nouveau groupe d'enfants. La joie de retrouver une place laissée vacante qui m'assurait l'authenticité d'une parole professionnelle au sein d'une institution, de renouer aussi avec mes collègues et de retrouver des échanges et des constructions humaines avec un groupe d'enfants. L'inquiétude était liée à l'idée de faire irruption sur la " scène " d'un groupe en marche. Mon apparition soudaine au cœur d'un dispositif fonctionnant depuis déjà quelques mois m'effrayait quelque peu. Ce souci m'obligeait alors à entrevoir cette insertion en douceur, avec un scrupule proportionnel à la violence de mon extraction quelques mois plus tôt.

Comment habiter discrètement une place sans incarner une figure messianique - que la chaise vide serait susceptible de suggérer -, sans occuper une position surmoïque - alimentée par mon statut de seul homme dans notre équipe de trois -, et surtout sans abuser d'une séduction inhérente à la " fraîcheur " de mon arrivée.

J'arrive donc. La simplicité désarmante du quotidien balaye mes questionnements et atteste de la réalité vivante d'un groupe d'enfants dont l'histoire a déjà débuté : mes " bonjours " individualisés sont épuisés et consommés en l'espace d'une minute. Et puis déjà les gestes d'une habitude rassurante se remettent en route. Les repères professionnels accumulés depuis des années se dérouillent rapidement, confronté que je suis à la vitalité débordante de l'enfance.

Comment le groupe me reçoit-il ? La première réunion où j'investis la chaise vide m'assure de ma propre existence au sein du groupe. Les enfants me donnent le sentiment qu'ils m'ont déjà accueilli et je suis presque étonné de n'avoir suscité - tout du moins en apparence - aucune angoisse de type persécutif. Je fais allusion ici à la position schizo-paranoïde décrite par Idir Jaques (1955) à propos des groupes. C'est en effet cet auteur qui a étendu au groupe les vues kleiniennes en insistant sur les processus régressifs préœdipiens et en soutenant l'hypothèse que les groupes étaient confrontés aux angoisses consubstantielles à la position schizo-paranoïde. Il en montre par exemple un des effets dans la figure de l'espion ou de l'étranger (" il n'est pas des nôtres "). Ma présence renvoie-t-elle au fantasme décrit par Klein chez le nourrisson de l'envahissement du corps par le mauvais objet ? A ce stade, rien ne semble l'indiquer. Bien au contraire, j'ai alors la naïveté de croire que ma présence a été " digérée " en un tour de cuillère. Mes premières paroles, je les voudrais alors reconnaissantes. Je repousse le plus longtemps possible le moment où il me faudra intervenir en m'opposant. Ne pas être surmoïque, tel est alors ma préoccupation. Je réalise en écrivant ceci que, recherchant une réassurance narcissique, j'étais alors dans une logique de séduction et que ma difficulté à assumer ma fonction avait un but non avoué de participer, ne serait-ce qu'un instant, à la vie libidinale du groupe.

La réalité rattrape cependant vite toute quête narcissique. Je suis très vite contraint d'intervenir pour énoncer des interdits : " tu ne peux pas faire ça, arrête, il est interdit de ... " ; poser des " non " bien avant de connaître leurs noms à tous. Et déjà une différence de ton apparaît : " c'était mieux avant quand tu n'étais pas là ! ". En fin de compte, l'harmonisation du groupe à partir de ma venue prendra bien plus de temps que ce que les premiers moments laissaient présager. Je compris alors à quel point le temps - qui me séparait du groupe - avait fait son œuvre. Il avait en fait une fonction psychique bien précise qu'il convient à présent d'examiner rétroactivement.

 

Le temps groupal

 Commençons par définir ce que j'entends par temps groupal dans la voie ouverte par Kaës (1985) : le temps groupal ne renvoie pas seulement à une temporalité propre au mode d'existence groupal, mais aussi à celle du sujet en situation de groupe. Il traduit donc " l'agencement des rapports d'intrication et de déliement entre ces temporalités ". J'insiste sur cette notion où le temps des uns est traversé par celui des autres. D'un point de vue épistémologique, une telle conception ne peut être intelligible qu'à la condition de reconnaître l'existence d'un lien groupal, lequel suppose alors une perméabilité des appareils psychiques individuels. En effet, seule la capacité de l'appareil psychique à lier certaines de ses formations avec celles d'autres appareils psychiques permet de soutenir l'hypothèse d'un lien groupal. C'est de cette porosité des frontières du Moi que peut être entendu un appareillage psychique groupal. A partir de ce présupposé théorique de travail, il me faut tenter de déchiffrer les différentes dimensions du temps dans mon groupe.

Comment ne pas parler d'abord - même s'il ne s'agit pas du thème central de mon étude - d'une scène originaire qui fonde l'existence de notre C.A.T.T.P. ? Celui-ci fût fondé par une équipe féminine. Ce n'est que quelques mois plus tard qu'un homme (éducateur) a été embauché dans l'équipe, puis fût remplacé plusieurs années après son départ par moi-même. Je fais l'hypothèse que mon absence - suite à mon accident - changeait notoirement le régime de temporalité dans l'équipe soignante. Compte tenu du fait qu'une partie de l'équipe actuelle du C.A.T.T.P. est à l'origine de l'institution, le temps subjectif des soignants pouvait en effet coïncider - pendant mon absence - avec celui de la naissance de l'institution. Il renouvellerait alors une scène originaire qui fonde l'institution. Or pour que cette scène originaire rende compte de la différence des sexes, il eut fallu que la présence d'un homme y soit représentée. Sans doute l'était-elle dès l'origine dans la volonté toujours affichée par l'équipe d'assurer la présence, fût-elle symbolique, d'un homme. Nous sommes ici, me semble-t-il, devant un paradoxe intéressant : d'un côté, mon départ temporaire hors du C.A.T.T.P. tend à permettre aux soignants de retrouver une part d'eux-mêmes narcissisée dans l'origine mythique de leur fondation ; de l'autre, nonobstant mon absence (ou celle avant moi d'un autre homme), je (ou un autre) étais fantasmatiquement toujours présent comme s'il fallait assurer dans un après-coup la refonte rétroactive de l'institution comme témoin nécessaire de la scène originaire. Les réflexions du paragraphe précédent méritent cependant d'être accueillies avec prudence. Non seulement reposent-elles sur un mode de pensée spéculatif, mais elles ne prennent pas en compte toutes les dimensions de l'institution et notamment la place singulière d'un autre homme, le psychologue - bien qu'il ne fasse pas partie de l'équipe de trois soignants (que nous formons avec l'éducatrice et l'infirmière dans les séances groupales avec les enfants).

Autre unité de temps : celle qui me lie - et me délie - au groupe d'enfants. Tributaire de la dynamique institutionnelle, le temps groupal - celui de ce groupe - contient au moins deux aspects : d'une part, le cadre temporel de notre dispositif de travail - je l'ai suffisamment décrit (durée, rythmes des séances) pour ne pas y revenir ici ; d'autre part, le temps subjectif de l'attente. C'est celui-là qui m'intéresse ici. J'avais précédemment introduit la dimension de l'attente, parce qu'elle me semblait être suggérée par la chaise vide et l'annonce de ma venue prochaine. Bien que n'ayant alors qu'un statut fantasmatique, j'apparais dans cette perspective comme un objet d'investissement et de représentation " prélaboré " (selon un terme de Kaës) dans un temps pendant lequel s'installe immanquablement une anticipation. A bien y réfléchir, sans doute est-ce cette anticipation qui rendait difficile la perspective de mon retour au C.A.T.T.P., certain que j'étais de ne pouvoir être à la hauteur. Quoi qu'il en soit, il me semble que le temps de l'attente de ce groupe d'enfants était un temps de prélaboration groupale mobilisatrice d'affects, de fantasmes et donc, corrélativement, de mécanismes de défense. Un système de relation à l'objet (que j'étais) s'était ainsi déjà mis en place et il n'est pas impensable que j'en recevais déjà en dépôt des éléments psychiques. Etais-je alors déjà fantasmatiquement lié à l'appareillage du groupe ? Face à la difficulté que constituait la représentation externalisée de ma présence et de mon absence, il y a lieu de le penser dans la mesure où comme le dit si justement Kaës (1985), " lier, c'est surmonter ou nier une séparation ".

Mais, entre les temps mythiques de l'origine institutionnelle et les temps subjectifs de l'attente que je me suis efforcé de décrire, c'est précisément entre ces deux dimensions temporelles qu'apparaît cette qualité groupale du temps, à travers l'instauration d'un contrat narcissique.

 

Ma relation avec Idir

Avant d'examiner le type de relation que j'ai eu avec Idir, il me semble utile de préciser quelques éléments à propos de cet enfant. Idir supporte difficilement de voir les autres enfants jouer, dessiner, écrire. Il se plaint souvent de s'ennuyer et son discours est riche en contenu négatifs, tant dans sa relation aux autres enfants qu'avec l'équipe soignante. D'une certaine manière, cet enfant se trouve à la périphérie du groupe. Tous ses efforts se résument souvent à être " exceptionnel ", différent et en même temps comme tout le monde. Ce qu'il fait vivre à l'équipe consiste en un sentiment étrange, celui de nous faire éprouver le sentiment qu'on " le laisse tomber ". C'est ainsi que l'équipe tend à éprouver le besoin de le rassurer, de lui montrer qu'elle tient à lui sans bien sûr parvenir à colmater de cette façon son hémorragie narcissique. Idir pousse en fait souvent les limites des soignants ; il est capable de tout mettre en œuvre afin que l'adulte " craque ". Il peut également se mettre soudainement hors de lui, vociférant et injuriant tout le monde, allant parfois même jusqu'à porter des coups violents contre un soignant ou un enfant du groupe. D'autre part, Idir ne supporte pas le fait ou l'idée de se retrouver en groupe enfermé dans une salle. Son attitude est presque phobique ; il n'entend alors plus rien ni personne.

J'ajoute enfin qu'Idir montre de nettes préoccupations à propos de la question du temps en déployant ainsi d'une certaine manière un stratagème d'évitement du temps. En témoigne l'exemple suivant. Idir demande un jour : "quand j'aurai 11 ans, est ce que je pourrais prendre la chaise des adultes (il y a dans la bibliothèque du C.A.T.T.P. trois chaises de grande taille pour les soignants et six petites pour les enfants) ? A travers cet exemple, Idir me semble se poser la question de son avenir (que fera-t-il quand il devra quitter le C.A.T.T.P. après deux ans de prise en charge ?), mais aussi celle du destin de sa pathologie (suis-je malade ?, vais-je le rester ?).

Qu'en est-il donc de ma relation avec cet enfant ? Sa quérulence, ses insultes, sa recherche de confrontation et de corps à corps, sont autant d'éléments qui participent d'une quête permanente de provocation à mon encontre. J'ai, face à Idir, l'impression que notre relation se pose en négatif de ma relation avec le reste du groupe avec lequel j'entretiens une relation plus construite. Idir me confère une position qui me semble intenable, qui affecte mes gestes, mes paroles et qui d'une certaine manière m'interdit de penser. En d'autres termes, je me sens pris dans une multitude d'injonctions paradoxales en ce que les revendications d'Idir sont immédiatement contredites par d'autres. Ce faisant, je suis dans l'impossibilité de sortir d'une situation paradoxale dans laquelle il m'est interdit de ne pas réagir, mais en même temps impossible de réagir sans que cela me soit reproché par Idir.

Je m'empêtre alors dans des attitudes oscillant entre la séduction afin de m'attirer son assentiment et d'entretenir la non conflictualité du groupe garant de sa stabilité et d'autre part la mise à distance, voire le rejet de ma relation avec Idir. Mais alors, cette deuxième position vient détruire un " pacte " instauré depuis cette " claque imaginaire ", un pacte dont il me faut définir les termes.

 

Du contrat narcissique au pacte dénégatif.

 Castoriadis-Aulagnier (1975) a insisté sur ce contrat narcissique dont tout individu est porteur dans son entrée dans le groupe social. Ce contrat assigne à tout individu, une place dans le groupe qui lui est indiqué par ses antécédents. Chaque sujet est porteur d'une parole conforme au mythe fondateur du groupe dont il est issu et qui inclut les idéaux et les valeurs de ce groupe. Comment cet élément peut éclairer ma relation avec Idir ?

Si je ne peux encore répondre à une telle interrogation, je peux toutefois constater qu'une vie " psychique groupale " est en œuvre dans la relation intersubjective engagée dans le groupe. Ceci me permet juste d'avoir une lecture autre d'un événement vécu dans le groupe et notamment, de prendre en considération les temps psychiques groupaux différents.

Ainsi, cette " claque imaginaire " devient une " claque institutionnelle " et vient prendre la place d'un contrat narcissique inconscient qui nous assigne à une place de sujet du groupe nouvellement constitué, un élément vient à manquer alors dans cette organisation, celui d'une transmission par l'" ancêtre fondateur ". C'est pour cette raison que j'emploie plutôt ici, le terme de pacte plutôt que celui de contrat. Je tiens cette différence terminologique de Kaës qui désigne l'arrangement entre deux parties, par l'intermédiaire d'une tierce personne qui vient résoudre un conflit, pour le contrat. Le pacte est quand à lui, son contraire parce qu'il est le résultat d'une " paix imposée " (ibid.). Le pacte dénégatif agit pour maintenir l'unité et faire taire les différents, quitte à ce que les différences soient supprimées ou tues.

De jour en jour cette relation, on le comprendra devient pesante pour l'enfant, moi-même et par conséquent pour le groupe de sorte qu'il y a nécessité d'un passage par l'acte. Lors d'une séance de groupe, Idir m'invective plus directement. Je saisis cette " occasion " pour rompre une relation qui nous liait de manière non constructive. Je somme alors Idir de sortir du groupe tout en lui indiquant que je n'accepte pas pour le groupe ce registre d 'échange. On imagine volontiers maintenant les réactions d'Idir, qui surenchérie d'insultes et de mécontentement.

Après l'avoir conduit à l'extérieur de la pièce principale, je rejoins le groupe avec un sentiment de légèreté. Je fus soulagé de voir cette tension qui régnait dans le groupe se dissiper. Cette parole agie eut également pour effet de me libérer. Je crois que je venais là de briser le " pacte dénégatif " qui nous liait ceci me plongea dans un moment dépressif. Je ne me souviens plus trop d'ailleurs, à quelle activité ludique je participais et le plus ennuyeux fut que j'en oubliais les autres enfants. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'Idir ne pénètre de façon précipitée dans la pièce en parlant à voix haute : " Non, je ne m'excuse pas, ça va pas, je dis pas pardon à Tony... ". Idir sort de la pièce et revient aussitôt avec un goûter qu'il avait dans son cartable et vient en proposer à chacun un morceau. Une manière trouvée pour rejoindre le groupe, qui je me souviens maintenant, jouait à la dînette.

Est-ce qu'Idir ne s'efforce pas par-là, d'unifier ou de lier nos deux réalités groupales ? Ce rituel de nourriture partagée est important il a constitué peut-être le moment où j'ai intégré le groupe d'enfant. Ce rituel a commencé au moment de " la claque " pour ce clore là où la réalité du groupe d'adultes a rejoint celle du groupe d'enfants. Autrement dit, la " membrane externe " Anzieu (1984) à laquelle j'appartenais en arrivant dans le groupe d'enfants fusionne avec la " membrane-interne " à laquelle il appartient. N'est ce pas cela que tente de me dire Idir, avec son langage, en énonçant une différence relative à mon arrivée au C.A.T.T.P. Le groupe auquel il appartient ou appartenait en mon absence, n'est plus le même à partir du moment où je les rejoins.

Toute cette énergie qu'il déploie aura aboutie à ce que nous nous rencontrions, lui, sa mère, le médecin du C.A.T.T.P et moi-même ; comme s'il était possible d'articuler ces deux groupes avec ces deux temps. Cette " claque imaginaire " est devenue un passage initiatique qui nous a permit de poser des mots quant à une rencontre temporo-spaciale. Je peux ainsi lire dans ce que rejoue Idir, l'écho de ma propre extraction. L'extraction représente une présence au négatif - je la nommerais " moins-un " dans la partie suivante- d'où une différence se pose.

Alors, le groupe interne du sujet ne se trouve-t-il pas d'abord à l'extérieur ? Idir me le propose comme un passage par l'action de l'extraire. Guerin (1993) propose une formule pour cela " le sujet dans le groupe est en demeure d'être. Il ne s'agit pas d'une dépossession, mais de ce qui est à venir de soi par la présence des autres et qui concerne les pactes psychiques des sujets dés lors qu'ils sont entre eux ". Mais qu 'est ce qui se joue à cet instant d'une rencontre d'un groupe avec un autre ?

 

Un groupe qui " groupe ".

La clinique des groupes d'enfants est attrayante dans sa capacité à nous entraîner aussi loin que cela reste utile pour un enfant et pour le groupe tout entier. Notre implication est inévitable dans une clinique individuelle à laquelle participent tous les enfants ainsi que le groupe d'adulte. Enfin, le processus thérapeutique est rendu possible lorsque le groupe d'enfants et d'adultes est réuni avec cette particularité de réussir à s'absenter, à s'extraire à soi-même pour pouvoir être présent dans le groupe.

La nécessité d'une sortie du groupe inaugurée par Idir soulève une question relative aux groupes thérapeutiques d'enfants. Depuis la dualité de la relation, la question de l'altérité vient se poser à l'enfant et l'on peut se demander ce qui viendrait à partir de notre temps originaire groupal, autre que l'extraction, signifier l'écart de cette différence ? J'émets pour abonder dans ce sens, l'hypothèse subséquente, qu'un groupe de soignant se doit de " grouper ". Autrement dit, il s'agit d'assumer sa différence à travers son histoire transgénérationnelle, son origine dans l'histoire individuelle de ses différents membres ainsi que son identité propre. Privat (1989) parle d'une " rencontre identificatoire entre adulte et enfant ". Ceci afin de préserver un espace psychique séparant un groupe de soignants d'un groupe d'enfants qui permettra à l'enfant de répéter au sein du groupe représentations, fantasmes et images de son espace psychique interne. Il s'agit à ce moment, de phénomènes de régressions que l'on repère dans la relation transférentielle contre-transférentielle, et ils symbolisent ce passage d'un temps présent à celui d'un temps passé.

La suite de mon travail traitera de la question du temps et de la mémoire dans le soin. Mais au préalable, je voudrais rappeler les thèses Kleiniennes qui se dévoile dans la clinique des groupes et qui reconnaissent chez l'enfant, l'existence d'un monde psychique interne, la précocité du fonctionnement mental et la constitution de fantasmes inconscients et d'objets internes. Pour aller dans ce sens, l'activité groupale dans ses dires et ses agissements peut être considérée comme un équivalent de la libre association. Comment se pose alors, l'activité interprétative des phénomènes groupaux ? Ma position sur la question est dictée par mon expérience. Plutôt qu'une interprétation, je privilégie d'avantage dans le groupe, l'accompagnement groupal du fonctionnement mental de l'enfant dans " l'ici et maintenant " à une relation interpersonnelle entre l'enfant et l'adulte.

Accompagner un enfant, consiste à le porter psychiquement avec l'appui du groupe. Cela consiste en un accompagnement verbal, parfois même physique de l'enfant au sein du groupe. Pendant ses moments " de groupe individuel", si je peux dire, il est important de s'adresser à l'enfant dans le groupe. Cela se traduit souvent par l'utilisation du " on " impersonnel au " tu " personnel ; tout en se gardant bien du raccourci qui résumerait l'action de " grouper " en cette utilisation pronominale. Ensuite, au contact des enfants, les adultes corrigent leur contre attitude, dans ce que l'on nome le contre-transfert, ce qui constitue une partie du travail psychique qui peut modifier la répétition observée chez l'enfant.

Pour ces différentes raisons, je peux dire qu'Il n'est pas nécessaire pour de connaître de façon précise l'organisation psychique en jeu dans la relation. Le travail d'interprétation demeure me semble-t-il un moment privilégié et individuel autorisé par le cadre thérapeutique entre l'adulte médecin ou le psychologue et l'enfant. Le soignant s'active quant à lui, à cet " accordage psychique et temporel ". Il constitue le miroir psychique permettant à l'enfant de se sensibiliser à ses propres processus de pensée exacerbée par la situation groupale. Ainsi l'existence d'un groupe d'adulte " groupe " dans cette reconnaissance de ses propres différences et restitue par-là même à chaque adulte la spécificité de son action professionnelle. Au contact direct avec les enfants, Les soignants préfèrent une attention portée aux gestes les plus ordinaires de l'être ensemble en groupe autant qu'un travail d'échanges et de parole entre adultes à une interprétation faite à l'enfant,

Pour une équipe de C.A.T.T.P l'action de " grouper " pourrait correspondre à la mise en place d'un dispositif thérapeutique. Il me reste pour être exhaustif, un élément important à considérer ; le soin de l'âme que je titrais " l'âme hors " dépend des conditions techniques de son environnement en l'occurrence de son temps. C'est ce que je me propose de regarder maintenant.

 

 

 

Troisième partie

LA CONCEPTION DU TEMPS

 

 

Du moins-un de l'individu à la psychologie cognitive.

 Pessler (1990) parle de " l'individu-plus-un " dés lors que l'objet d'étude se trouve être le couple, la famille ou la société. Ainsi pour cet auteur, " l'individu-plus-un " ne peut se constituer comme un ensemble d'individus " conservant leur identité " que si le tiers vient jouer une fonction structurante. Il rajoute ceci :" Lorsque la théorie psychanalytique étudie l'individu, elle ne considère jamais celui-ci de manière isolée, mais en relation étroite avec autrui " (ibid.). Je vais montrer maintenant comment je m'accorde avec ces présupposés de bases de l'école psychanalytique française concernant le groupe et comment je m'autorise pour cette dernière partie d'approfondir cette question du groupe, en repérant depuis l'extraction, le " moins-un " de l'individu.

Pour cela, c'est le temps - point nodal du dispositif thérapeutique du centre d'accueil thérapeutique - qui me permettra d'aborder un thème qui m'est cher que j'appelle la cybernétique. Selon Ganry (1995), ce qualificatif désigne les sciences " issues de la conception des machines cybernétiques, informatiques, sciences de la communication, cognitivisme". Lorsque l'on étudie " l'esprit ", les champs d'investigation restent très larges, depuis la philosophie jusqu'à l'informatique. Je dois à Tiberghien (1999) une description claire et synthétique (voir annexes 3 et 4) de la psychologie cognitive qu'il refuse à confondre avec les neurosciences cognitives. " La pensée était donc structurée comme un langage forme...[...]Si le comportement ne permettait pas d'atteindre la pensée, il fallait bien inventer l'outil épistémique permettant de l'objectiver. En réduisant la pensée à un langage, le cognitivisme faisait coup double : il définissait un véritable " comportement " logique et retrouvait ainsi un indicateur observable et pouvant être stimulé sur un ordinateur. "(Ibid.)..

Ce qui m'intéressera ici, concerne ce saut épistémologique où la psychologie prend une place à part entière en intégrant la temporalité et la notion de téléologie, de finalité. Je parlerai donc de la conception que l'on a du temps. Nous avons créé des machines cybernétiques qui fonctionnent avec une certaine logique. Et je prends en considération que notre logique a été projetée dans ces machines. Nous nous trouvons ainsi devant une machine qui reflète notre logique et qui nous donne la conception du temps. C'est la machine qui forme notre organe de perception du temps -comme l'œil est l'organe qui donne la perception de la lumière.

En réalité, ne serait-ce pas nous-même à travers l'œil qui percevons la lumière ; pareillement par les machines n'est ce pas nous encore, qui percevons le temps et sa durée ? C'est précisément sur cette articulation épistémologique que je vais tenter de m'explique en me demandant si un modèle thérapeutique pourrait s'en extraire ?

J'ajoute cette précision que J'emprunte à Widlöcher (1999) : " La clinique que nous construisons est faite nécessairement de pièces et de morceaux issus de champs d'observation hétérogènes. " Je dois prévenir encore que l'emploi des schémas ou graphes est propre et utile pour ce genre de " démonstration ".

 

Chap.1 la mémoire.

Je vais estimer qu'il y a deux moyens de considérer la dimension du Temps (ou Conception du Temps). Le premier, c'est la notion de mémoire - le deuxième la perception de la durée.

Pour l'introduire j'aimerais citer un texte qui vient de l'antiquité. Ce texte anglais, écrit par l'historienne Yates (1966) traduit du latin fut écrit probablement par CICERON - qui rapporte ce que disait un certain SIMONIDE de CEOS - quatre ou cinq siècles avant JC - de ce qu'il avait sans doute appris dans des écoles qui à l'époque étaient des écoles d'initiations - donc, d'une mémoire encore plus ancienne1.

 

L'antiquité

" Au cours d'un banquet donné par un noble de Thessalie qui s'appelait Scopas, le poète Simonide de Céos chanta un poème lyrique en l'honneur de son hôte, mais il y inclut un passage a la gloire de Castor et Pollux. Mesquinement, Scopas dit au poète qu'il ne lui paierait que ta moitié de la somme convenue pour le panégyrique et qu'il devait demander la différence aux Dieux jumeaux auxquels il avait dédié la moitié du poème. Un peu plus tard, on avertit Simonide que deux jeunes gens l'attendaient à l'extérieur et désiraient le voir. Il quitta le banquet et sortit, mais il ne put trouver personne. Pendant son absence, le toit de la salle du banquet s'écroula, écrasant Scopas et tous ses invités sous les décombres ; les cadavres étaient à ce point broyés que les parents venus pour les emporter et leur faire des funérailles étaient incapables de les identifier. Mais Simonide se rappelait les places qu'ils occupaient à table et il put ainsi indiquer aux parents quels étaient leurs morts. Castor et Pollux, les jeunes gens invisibles qui avaient appelé Simonide, avaient généreusement payé leur part du panégyrique en attirant Simonide hors du banquet juste avant l'effondrement du toit. Et cette aventure suggéra au poète les principes de l'art de la mémoire, dont on dit qu'il fut l'inventeur. Remarquant que c'était grâce au souvenir des places où les invités s'étaient installés qu'il avait pu identifier les corps, il comprit qu'une disposition ordonnée est essentielle à une bonne mémoire. "

Cette très ancienne doctrine de la mémoire m'a été dévoilée par l'intermédiaire d'un livre " Mythe et pensée chez les Grecs " (1985) et son auteur Vernant qui nous apprend que c'est à Simonide, le poète lyrique, que les Grecs faisait remonter l'origine de la techné mnémoniké. Il note deux traits susceptibles d'éclairer cette laïcisation des techniques de mémoire et le moment ou elle se produit : " 1° Simonide aurait perfectionné l'alphabet et inventé des lettres nouvelles permettant une meilleure notation écrite ; 2° le premier, il se serait fait payer ses poèmes, pratiquant la poésie comme un métier, pour de l'argent. "

Plaçons donc de ce coté [fig.1, gauche] le banquet réel de Scopas - et de l'autre coté [fig.1, droit] le monde des dieux2. Simonide nous montre que la mémoire procède par une sortie dans l'imagination [fig.1, C&P; Castor & Pollux] que figure " l'extraction ".

 

Figure 1 : - Simonide 

 

Sur cette base, la situation contemporaine pourrait se présenter inversée [fig.2] 

Figure : 2 - Simonide contemporain 

En effet, l'histoire de Simonide ou de son modèle avec sa situation. Au lieu de "modèle avec sa situation", j'aurai pu dire "mythe avec sa transmission" s'il fallait préciser que du point de vue psychanalytique, la réalité d'un message comporte l'histoire de son énonciation. C'est ce que nous avons examiné dans la première partie de ce travail, au niveau de l'Histoire de la pensée humaine et de ses conceptions ( le structuralisme en était un exemple explicite me semble-t-il

Ainsi, à l'époque actuelle, le premier se trouve réintroduit dans le monde réel - précisément par la philosophie - comme l'être pour la mort [ fig.2, eM] (Génie de la Mort) exposé par Hegel, et reconnu ensuite par Lacan à la place du psychanalyste ; tandis que l'autre jumeau - Antinoüs - a été aussi réintroduit par la philosophie, dans le monde conçu comme réel - par Sartre, sous le nom d'anti-nous (Antinoüs). Enfin, de même qu'à la suite de Hegel on trouve le psychanalyste Lacan pour objectiver l'être pour la mort, on trouve à la suite de Sartre le psychiatre Laing, qui assigna l'anti-nous à sa fonction concrète dans la clinique sociale. Les psychiatres Laing et Cooper furent fondateurs et promoteurs d'une Antipsychiatrie durant les années 1970 en Angleterre. Leur théorie a été établie avec le concours de Sartre, et exposée dans leur livre en commun : Raison et violence cité par Darrot(1999). Selon l'Antipsychiatrie l'anti-nous paraît comme un point d'alternative, où dans une société malade ou immature, l'identification salubre se traduit à travers la schizophrénie et/ou le délire.

Je propose ce saut épistémologique en considérant dans un premier temps, le Modèle Optique produit par Lacan (1966).

 

Figure 3 : - Modèle Optique

On y voit deux objets - un vase et un bouquet [fig-3, gauche] - comparables à deux personnes qui sont dans un banquet, en l'occurrence dans un miroir concave comme dans une caverne. La disparité apparente (vase ou bouquet) entre ces "personnes" traduit les "instances psychologiques" soulignées de la situation sociale de l'une à celle de l'autre (les instincts d'une personne, l'image physique de telle autre, etc.). Dans un deuxième temps, la comparaison avec le Modèle de la Caverne, trouve ces variations analytiques sous les termes de condensations sonores, âmes, individus, etc. Mais à la place de l'ouverture de cette Caverne, réside un autre miroir, plat celui-ci [fig.3, miroir A], qui reflète l'intérieur de la caverne, le banquet avec ses membres dans son espace virtuel", au-delà du miroir [fig.3, i'(a), coté droit]

 

Figure : 4 - la Caverne contemporaine

La "figure: 4" montre une épure de cette représentation contemporaine du Modèle de la Caverne de PLATON. Si nous songeons de nouveau à Simonide, nous voyons qu'à l'époque actuelle, selon le Modèle Optique, sortir de la caverne ou du banquet (miroir concave) ne signifie pas que les individus pénètrent la réalité des dieux - mais qu'ils se figurent dans l'espace derrière le miroir - c'est à dire dans la réalité virtuelle.

On peut reconnaître le "vase renversé", comme le "prisonnier" selon Platon, et la caverne fermée par un muret par-dessus lequel des figurines produisent une illusion. A l'extérieur, "S, l" indique la personne idéale que Platon appelle le "Souverain de la Lumière" - celui-ci apparaît comme un demi-dieu.

 

Ouverture du CHAP.7 de LA REPUBLIQUE (Platon, 324-377avJC)

(...) Maintenant, repris-je, représente-toi de la façon que voici l'état de notre nature relativement à l'instruction et à l'ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : Imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles. 

Je vois cela, dit-il. 

Figure-toi maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois, et en toute espèce de matière; naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent. 

Voilà, s'écria-t-il, un étrange tableau et d'étranges prisonniers. 

Ils nous ressemblent5, répondis-je; et d'abord, penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?

 Et comment ? Observa-t-il, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ? 

Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même? Sans contredit. Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient?

 Il y a nécessité. 

Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ? ...

La suite du texte de Platon décrit la situation du Souverain de la Lumière et de la Lumière elle-même, respectivement dans l'espace virtuel et encore au-delà. Il y est encore expliqué qu'un facteur mathématique est logiquement nécessaire à la communication des "espaces" tel le moins un (ou le zéro - selon l'espace où il est représenté; (Cf fig.5) que je présente dans les pages suivantes.

En ce qui concerne le C.A.T.T.P, la clinique avec Idir me suggère un modèle thérapeutique sous-jacent et à partir de quoi je posais mon hypothèse de travail que je restitue : 

Hypothèse 

En figurant une " autre scène ", l'extraction de l'enfant hors du groupe lui permet de se présenter comme une présence/absence fondamentalement constitutive. Ce " partir-revenir " pourrait symboliser cette question fondamentale de la mort comme toile de fond à toute existence de sujet. Le transfert réalise ici le " lien social " de l'individu en groupe.

 

Correspondance antique. Figure : 5 - (comparer fig.l et 2, et 5)

Pour garder l'essence de l'intuition ancestrale de la mémoire et la séparation entre la relation individuelle et la communauté, il faut prendre acte du fait qu'ici - dans cet espace virtuel (au-delà du miroir plan [fig.3&4]) - nous trouvons à présent le groupe.

 

Si nous récapitulons, de manière imagée : nous avions, dans le temps du mythe, le groupe ici [fig.l, à gauche] et Castor & Pollux à l'extérieur, en vis à vis [fig.l, à droite]. Puis nous avons manifesté un transvasement [fig-2, de droite à gauche] des archétypes sociaux dans la réalité pratique de l'action (ainsi le psychanalyste pour l'être pour la mort, le citoyen pour Antinoüs, défini selon la Division du Travail "). Corrélativement, pour compenser ou parachever ce transvasement (ce transfert, si l'on peut dire), notre époque déplace [fig-5, de gauche à droite] le Groupe de Scopas dans la réalité virtuelle.

Pour préciser ou expliciter les caractéristiques de la situation - disons qu'à ceci correspond une nouvelle conception de la mémoire. Par exemple dans l'antiquité, nous pensions que la mémoire dépendait du Dieu Créateur - Lui qui avait l'idée du temps et qui en était la réalité authentique, son propre " réel " dans l'espace des dieux, hors de la Caverne [fig.l, à droite]. Mais maintenant cet espace n'est plus celui de la réalité divine - il est l'espace imaginaire du groupe, en quelque sorte " l'illusion groupale ".

Par conséquent notre mémoire ne conçoit plus qu'elle dépende de la pensée du Dieu Réel - mais qu'elle dépende d'une virtualité. Et ceci est une transformation de la conscience par rapport à l'antiquité.

 

Correspondance pratique

Je peux maintenant considérer la conséquence technique qui m'est possible de mettre au point, de l'effectuer et de l'appliquer, avec ces nouvelles notions au sein du C.A.T.T.P. Ainsi, le groupe des six enfants et des trois soignants se met en activité, " groupe ", à partir du camion jusqu'au temps de bibliothèque. On peut surtout repérer ce détail du dispositif, qui consiste en différentes extractions à travers des sorties successives de chacun de ses membres (les enfants) [fig.5, m] ; comme nous l'a suggéré Idir.

Il y a tout d'abord les enfants que l'on va récupérer individuellement de leur groupe scolaire successivement un part un après qu'ils eut été extrait de leur groupe familial. Lors de leur présence au C.A.T.T.P, chaque enfant constitue le groupe qui " groupe ". A cela, l'expérience montre qu'au fur et à mesure du déroulement du soin, chacun des enfants utilise cette possibilité de s'extraire du groupe pour rencontrer la psychiatre ou le psychologue. 

Figure : 6 - épure du fonctionnement du C.A.T.T.P

Tour à tour, du groupe, un enfant s'extrait (du groupe scolaire, familial ou encore thérapeutique), met au principe de cette technique le représentant de l'information centralisée hors [fig. 6, à gauche] du groupe - qu'il s'agisse du psychiatre ou du psychologue avec l'enfant extrait ou encore la paire qu'ils forment. Un triple site d'action ressort de cette opération : premièrement le jeu moteur d'une absence dans le groupe [-1, fig.6], deuxièmement les relations psychologiques individuelles du transfert [2, fig.6], troisièmement la série d'observation [3, fig.6] qui résulte, dont le psychologue ou la psychiatre ont l'exclusivité (ce qui en fait au demeurant la prémisse d'exception propre à la Science).

Voici donc trois étapes qui semblent se distinguer de ce comportement inauguré par Idir et que j'envisage de repérer et d'analyser après :

-1/ Sociologiquement le " moins un " [fig.5, -1] produit un effet spécifique dans la logique collective du groupe. C'est le premier site ou mécanisme d'action.

2/ Le deuxième mécanisme d'action c'est la relation individuelle [fig.5, 2] entre le membre extrait et le psychiste.

3/ Le troisième élément, c'est le double souvenir que le psychiste garde de chacun des entretiens et les soignants du groupe, et qu'ils rassemblent en une série d'informations qui peuvent être retranscrites (dossier médical, synthèse, dossier de soin infirmier, etc.)([fig.5, et 3}.

 

Chap. 2 Le transfert comme lien social  (2)

Je commence par ce deuxième moment, lequel ne m'implique pas directement. Cela consiste en l'explication du phénomène transférentiel et contre-tansférentiel à l'œuvre dans toute démarche de soin. Mais plus particulièrement ici, ce qu'une analyse d'un tel fonctionnement met en observation réside dans le fait que le soin à temps partiel est propice à la métaphore de la vie familiale dans sa régularité des horaires et la permanence des interlocuteurs. L'accueil à temps partiel permet en effet, la mise en place d'un rythme alternant des périodes d'absence et de présence " unité de temps ", au sein d'un même lieu " unité de lieu " et donc de souligner le couple continuité/discontinuité temporo-spatial. L'organisation d'activités précises sont assignées au groupe et constitue une " unité d'action ". Ces conditions constituant le cadre thérapeutique. De plus, le soin thérapeutique à temps partiel au C.A.T.T.P inclut l'absence, ce qui permet à l'enfant d'expérimenter une continuité symbolique au travers des discontinuités, ce qui n'est pas sans évoquer comme je l'ai déjà fait ultérieurement, le jeu de la bobine. L'enfant peut ainsi " accéder à la permanence de l'objet " comme l'indique Tordjman et al (1999). Les situations bihebdomadaires deviennent ainsi symboliques.

Cette cohérence interne du dispositif est propice à susciter premièrement chez l'enfant comme chez l'adulte, telle que l'on a pu la remarquer dans ma relation avec Idir, des échanges relationnels de nature transferentielle contre-transferentielle. Deuxièmement, les enfants peuvent se laisser aller à l'expérience des processus psychiques primaires. Autrement dit, il s'agit d'une régression garantie par le système symbolique qui la fonde. Mais à ce stade au sein des groupes, il est une chose particulièrement intrigante, mystérieuse ; c'est la façon, la raison, le motif, l'argument selon lesquels les membres d'un groupe s'unissent. En d'autres termes, qu'est-ce qui forme la cohésion ; où encore quelle est la nature du lien social ? J'énonce alors que le transfert réalise ce " lien social " extrait de la société et observé, saisi, dans la rencontre avec le cadre thérapeutique du groupe. Ainsi, il est possible d'avancer plus profondément dans une psychologie qui n'est pas celle de l'inconscient collectif, car chaque enfant garde en propre l'interprétation de sa rencontre individuel avec le psychiste, mais d'une psychologie des groupes.

Le transfert est un certain type de relation qui a lieu entre une personne dans l'analyse et une imago. Le terme d'" imago " a été employé par Freud pour décrire certaines images psychiques - disons des images de condensation psychique ; et le Transfert a lieu lorsque parmi ces imagos, sont activées celles que Platon (ainsi que Freud) appelait Idéal-du-Moi [fig-6, l ]. Dans le groupe, La particularité du transfert selon Anzieu (1984) réside dans la tendance au clivage d'une part et d'autre part, en plus du transfert central des enfants sur l'adulte et sur les autres enfants que sont les transferts latéraux ; il existe un transfert sur le groupe " pris inconsciemment comme objet d'investissement pulsionnel et fantasmatique " (ibid.).

 Figure 7 : - représentation du Transfert 

Selon la théorie de la Psychanalyse, les imagos importantes sont celles des parents. La conceptualisation du groupe dans l'espace imaginaire ou virtuel [fig.5], permet de promouvoir cet imago parental à la connaissance du représentant social. D'autant qu'ayant situé le phénomène collectif dans la partie virtuelle de la représentation [fig.3&4], cette vue du Transfert devient particulièrement utile. Elle accorde à l'imago[fig.3&6.l] la place de leader du groupe. La pratique des groupes thérapeutiques d'enfants ne manque pas de confirmer avec l'exemple d'Idir.

 

La notion d'Idéal du moi chez Freud.

 Une reformulation de mon hypothèse pourrait s'énoncer ainsi : la vie sociale, par la notion d'Idéal du moi, offre les conditions de l'inconscient. Outre qu'il introduit le Narcissisme, l'Idéal du moi est manifeste entre l'hypnose et la personne idéale en société. Il fonctionne en premier au travers du " meurtre du père " dans Totem et Tabou (1912) où Freud suppose que la société est faite par une collectivité de membres hypnotisés par un souvenir - par quelque chose qui a disparu ; ce quelque chose est une personne qui a été assassinée, c'est le père tué par les fils - et à l'appui de l'hypnose, la culpabilité symboliserait l'origine de la cohésion sociale. En 1914, Pour introduire le narcissisme, cet idéal-du-moi est présenté comme le facteur qui personnalise le narcissisme et qui permet la référence au double, au semblable, si on peut dire au "moi-même". Dans Psychologie collective et analyse du moi (1921), cet Idéal-du-moi vient au lieu de ce qui fait le " centre " de la psychologie collective, le dénominateur commun.

Plus tard, Freud va examiner en tant que configuration de la divinité, en tant qu'il pourrait représenter le divin, dans l'Avenir d'une illusion (1927). Dans ce cas les membres d'une religion fonctionneraient comme hypnotisés par l'Idéal du moi dans la capacité ou il représenterait le tout, le UN, la divinité. Ensuite, après ce traité sur la religion, il examine comment cet Idéal peut prendre une forme plus abstraite ou plus secondaire ; comment peut-il prendre la forme de l'Etat - ce qu'il appelle le Surmoi - dans " Malaise dans la civilisation " (1930). Il ne s'agit plus, à ce moment, d'une personne vivante mais d'une entité abstraite ou arbitraire qui pourtant, semblable à une personne, aurait cette capacité hypnotisante.

Enfin, Freud va examiner dans " Moïse et le monothéisme " (1938) comment cet Idéal-du-moi peut être soutenu par la biologie elle-même ; c'est à dire le grand homme qui n'est ni le père, ni dieu mais qui est par exemple Moïse, un guide.

Il est intéressant alors de rappeler les liens existants entre le Transfert et l'hypnose établis dès l'origine de la Psychanalyse, puisque c'est d'abord en cherchant une technique relevant de l'hypnose que Freud eut l'idée du Transfert. L'hypnose permet de donner des ordres à quelqu'un sans qu'il se souvienne de les avoir réalisés. L'hypnose montre par-là, la preuve de ce que peut être l'inconscient, avec quelque chose de refoulé qui néanmoins est précis et actif. On pourrait comprendre ainsi, que pour Freud, la vie sociale est semblable à une hypnose. Chacun de nous vivons en société " comme hypnotisés ".

A partir de quoi on peut reconnaître ce leader, à la place de l'imago, comme étant une personne sous hypnose ou " en état d'hypnose ". Freud (1921), " voit la cause de l'influence des meneurs dans les idées par lesquelles ils sont eux-mêmes fascinés ". Ainsi, la personne hypnotisée est celle qui représente le psychisme - qui " raconte " si on peut dire le psychisme - ou encore, qui est passée de l'autre coté du miroir [fig.3, point S, l]. En tant que représentant de la foule, des investissements collectifs, des archétypes, de l'histoire de la collectivité, le leader occupe cette place qui représente une instance virtuelle. " Il est le porte parole de la résistance inconsciente du groupe " (Anzieu, 1984).

Ce qui me préoccupe ici est en rapport avec la mémoire et de repérer que cette structure de l'individu et de la collectivité signifie un certain type de remémorations. Un des phénomènes les plus notables de l'hypnose concerne l'aptitude à rappeler souvenirs ou patterns autrement dissipés dans la conscience manifeste. En se réunissant et par conséquent en s'assujettissant à son savoir les membres d'un groupe constituent un mécanisme hypnotique dés lors qu'y est présent son leader enfant ou adulte en la personne du thérapeute. Ceci me permet alors d'émettre une réserve dans le fonctionnement thérapeutique des groupes d'enfants selon les théories des groupes d'Auxerre ou un thérapeute se retrouve, seul, en présence du groupe d'enfants et en place d'idéal du moi le plus souvent et de surmoi à d'autres moments. La description de la mémoire s'y retrouve principalement basée sur une inhibition, telle qu'en fait état la transe hypnotique. Mais regardons maintenant s'il est possible d'éviter cette contrainte au soin.

 

Chap. 3 La perception de la durée (-1)

Je débutais cette troisième partie, en estimant qu'il y a deux moyens de considérer la dimension du Temps. Cette conception peut se présenter sous deux aspects, celui de la mémoire et de la perception de la durée que je vais donc examiner. Pour cela, c'est à partir d'une théorie proposée par Lacan (1945) que me vient l'argument de ce " moins-un " véritable facteur logique qui intervient dans la logique collective. La logique d'un groupe dit Lacan (ibid.), est une opération cybernétique entre ce qu'il y a à l'intérieur d'un groupe et son environnement. Ce que Lacan élabore comme théorie s'agissant de la logique collective, est pense-t-il, ce que Freud à son époque préparait, étudiait, calculait de relations, entre le moi et l'inconscient.

Je vais examiner cette " extraction " ou " moins-un ". Pour cela, je repère que les appareils cybernétiques modifient notre conception du Temps parce que nous percevons la durée du temps à travers la machine pour deux raisons : d'abord parce que la machine reproduit et est construite selon notre propre logique ; deuxièmement parce que la machine présente une mémoire. Ceci pourrait être les principes fondamentaux de la cybernétique. C'est ce que nous allons voir maintenant.

 

La cybernétique 

Il convient de savoir en quoi consiste la cybernétique. Tout d'abord, pour Bertalanffy (1967) les concepts de base de la cybernétique sont ceux de la " rétroaction " (ou feed-back) et d' " information ". Cette première cybernétique faisait référence à la " boite noire ", aux systèmes fermés et aux observations objectives. " Ses métaphores furent cybernétiques et mécanistes : homéostasie, résistance au changement, stratégie dans les institutions " Waternaux (1998).

Il y eu un deuxième mouvement théorique emmené par Watzlawick et l'école de Palo Alto et Atlan H biologiste, entre autres qui faisaient référence aux systèmes vivants, à la biologie et la subjectivité du soignant. " Ensuite les thérapies narratives de White M viennent, a leur tour, questionner la systémique. Soulignons au passage le glissement qui vient de se produire ici entre le terme systémique et le terme thérapie familial. Il rend compte de la bifurcation existant entre une pratique de rencontre avec les familles et l'utilisation de l'outil systémique dans des contextes variés " Waternaux (1998) . Cet auteur rappel également que la systémique s'est imposée à la fin des années 1960 jusque la fin des années 1980 et a connu le choc pétrolier de 1974 et l'effondrement de l'URSS en 1989. Tout ceci à précipité la systémique vers le champs social. Ainsi, " La systémique n'a jamais été une école mais une variété de recherches, d'initiatives et d'expériences personnelles. C'est d'ailleurs un trait de tous les humanismes, qui sont des témoignages et non des idéologies " Waternaux (1998) .

Ce que l'on peut retenir de ce deuxième mouvement cybernétique, dont découle le constructivisme consiste en la prise en compte du facteur temps d'un système par son histoire, sans pour autant négliger l'expérience de l'ici et maintenant.

Je vais essayer de synthétiser tout cela, ce qui est une gageure lors que l'on parle de cybernétique. Donc il s'agit de recherche, recherche qui vise à calculer comment des systèmes qui réagissent les uns sur les autres évoluent ensemble. On a vu, qu'historiquement parlant, la cybernétique naquit avec les machines robots réagissant à l'environnement. A chaque fois qu'elles le modifiaient, elles devaient par conséquent réagir d'une manière nouvelle. Elles entraînaient de nouvelles modifications, doublé de leur propres réactions entre elles, et ainsi de suite jusqu'à toutes sorte d'emballements, de résonances, de déséquilibres et de catastrophes. On parle de " rétroaction " ou le " feed-back ", voire les " systèmes interactifs " pour aboutir à ce que l'on identifie les lois de la cybernétique, comme celles qui formulent les équilibres. Avec " environs ", " réactions ", " interactions " et " messages ", la recherche cybernétique interprète ces phénomènes comme des échanges d'informations.

On pourrait alors parler d'écologie. Si nous concevons par exemple un appareil, l'ordinateur, s'inscrivant dans son environnement produit des effets sur cet environnement. Lequel à son tour s'impose à l'appareil, citons 'exemple d'Internet. Face à cette boucle, on peut admettre que l'espèce humaine est en situation cybernétique dans la nature qu'elle modifie et dont elle dépend. Lorsqu'un appareil cybernétique est mis au monde, une suite consécutive engage la société à s 'agencer selon les lois reconnues par les systèmes cybernétiques. Je veux souligner que les caractéristiques de l'industrie contemporaine impliquent qu'une gestion moderne des ressources humaines relève d'une structure compatible à la cybernétique. L'approfondir me ferait dévier de mon objet d'étude, qui reste le soin groupale pour enfants à temps partiel, en me recentrant particulièrement sur la conception du temps.

Pour traiter des rapports de la cybernétique et la psychanalyse nous pouvons nous rapporter à Freud. Si nous admettons qu'il a établi sa psychanalyse sur la teneur des principes de la Thermodynamique. La Thermodynamique est la science de l'échange entre deux systèmes, soit de chaleur, d'énergie ou, plus généralement d'un échange d'état. Freud a appliqué ces principes à l'observation de l'échange de la libido. Ensuite Lacan (1945) a appliqué les principes de la cybernétique dans la psychanalyse. La cybernétique concerne aussi les relations d'échange entre deux systèmes - mais avec cette précision, de se définir comme la science de la communication et de son contrôle (de l'échange) entre les organismes vivants et les machines. La cybernétique s'identifie donc à la Thermodynamique y ajoutant une formulation de la temporalité, c'est ce que nous allons voir maintenant.

Mais avant, je voudrais revenir un instant grâce à Vernant (1996), à la pensée technique des Grecs qui nous dit " faute d'avoir des notions de loi naturelle, de mécanisme physique et d'artifice technique, elle ne dispose pas du cadre conceptuel qui assurerait son progrès ". Pour le grec du Ve siècle, ce cadre conceptuel ne consiste pas en la fabrication d'objet ou en la transformation de la nature, mais plutôt d'avoir une prise sur les hommes, les vaincre et les dominer. Et " celui dont la maîtrise vous donne pouvoir sur autrui, c'est la parole ". Poursuivons un instant avec cet auteur qui nous apprend que " la stagnation technique chez les Grecs va de pair avec l'absence d'une pensée technique véritable. Le démarrage du progrès technique suppose, parallèlement aux transformations dans l'ordre politique, social et économique, l'élaboration de nouvelles structures mentales. Quand elle paraîtra se débloquer, la pensée technique, en fait, se constituera. En construisant des machines, elle formera son propre outillage intellectuel. "(ibid.)

De ce point de vue, comme l'Ecologie regarde principalement la relation entre les collectivités et l'environnement, la psychanalyse et la cybernétique rejoignent effectivement l'écologie quand elles intègrent ou tiennent compte de la collectivité des machines en fournissant des formules de collectivités de semblables, les ensembles cybernétiques constituent des modèles expérimentaux de l'observation sociale. Est-ce que cette cybernétique ne nous mènerait-elle pas à une psychanalyse qui finira par répondre aux besoins de la gestion de l'environnement ?

 

Le temps logique

Lorsque nous étudions la relation que peuvent entretenir les machines entre elles nous acquérons une notion. Nous apprenons quelque chose qui nous éclaire sur la Perception de la durée. Pour le comprendre, la situation clinique des groupes présentée dans la deuxième partie de ce travail peut aider en imaginant que les enfants et les adultes sont des machines en situation de communiquer et de s'identifier elles-mêmes. C'est à dire de savoir dans quel état elles sont. 

Je présente pour y aider, la situation suivante comme un jeu : 

" Pour savoir qui je suis - je peux chercher en moi-même - et je peux aussi chercher qui je suis pour l'autre. Pour mettre en scène cette expectative, Lacan (1945) a proposé un modèle: une situation selon laquelle nous pourrions nous trouver soit dans un état, soit dans un autre - disons, noir ou blanc - ce que, pour en être conscient, nous chercherions à savoir.

Figurons la situation par l'attribution de cartes, soit blanches, soit noires - étant connu que dans le set de cartes, dans le jeu de cartes, toutes, en nombre indéfini soient blanches à l'exception d'une seule, qui soit noire.

Si j'endosse donc ainsi la carte qui me définit, hors de ma vue - derrière moi, par exempte accrochée dans mon dos - je ne puis directement savoir quelle est mon identité mais mon partenaire peut facilement le savoir. Pour connaître mon état je vais donc observer son attitude, en raisonnant de la manière suivante:

"Puisqu'il est sur qu il n'y a qu'une carte noire dans le jeu, si je la détiens mon vis à vis saura en un instant que la sienne est une blanche. Par contre si ma carte est blanche il ne pourra déduire aussi vite qu'il est porteur d'une blanche ni d'une noire - il faudra qu'il attende ma réaction. C'est pourquoi, si troisièmement nous avons tous les deux une carte blanche -nous allons hésiter un certain temps - jusqu'à ce qu'avec cette hésitation nous décidions que nous sommes "blancs". "

Il s'agit d'un moyen qu'utilisent plusieurs individus, ignorant tout de leur identité, de leur détermination ou de leur conditionnement, pour se reconnaîtrent comme trois semblables au moins. Ceci leur permettrait de gagner une connaissance de la logique collective les menant à la capacité d'en savoir plus sur eux-même. Pour décrire ce gravissement de l'identification, Lacan utilisait l'image de prisonniers qui vivaient en même temps, les conditions de leur libération. Pour ma part, je me réfère à mon expérience du soin groupal pour enfants.

Le sophisme lacanien stipule autant qu'explique, que la règle d'action des trois sujets consiste à mettre en exercice la hâte, semblable à l'intuition, mais caractéristiquement celle d'assertir, de manière anticipée, sa certitude d'être, non seulement de son fait, mais de son état. Le manque, l'effet du " moins-un " que procure la sortie du groupe est ce qui permet l'angoisse, c'est à dire " l'attente qui prépare au danger ", Freud (1918), à savoir, strictement, ce qui est mis en fonction selon ce que je définissais comme étant l'extraction. Cette attente, comme les rêves de trauma et comme l'absence (Freud, 1918), à travers le sentiment de danger s'impose au sujet comme l'idée de la mort. Telle est la condition générale de " l'animal humain " qui apparaît en arrière fond de toute vie en groupe, la capacité de s'imaginer mortel. C'est ce que vient figurer symboliquement par l'extraction, la position du " moins-un " du sujet.

Ainsi, entre ces machines que nous avons imaginé pouvoir être, nous pouvons donc écrire une formule cybernétique : Il y eut d'abord un manque d'impulsion, une susceptibilité au vis à vis - zéro impulsion - puis une impulsion. C'est ainsi que dans le cas où nous étions semblables, nous avons attendu, puis nous avons affirmé que nous étions blancs. Nous écrivons cette séquence: "..01.." Ce mode d'information entre des appareils est plus connu sous l'appellation de communication binaire.

Le "0" désigne un temps indéfini qu'on a appelé "hésitation" - laquelle n'est pas encore la Perception de la Durée, mais correspond seulement et simplement à une notion ou encore à l'idée, d'un laps ; le binôme "01" exprime alors que les deux machines ont compté avec un rudiment de la notion du temps. Appelons cette formule cybernétique, ici à deux éléments, un module. Pouvoir nommer cette formule, "..01..", est une valeur qu'on mesure après-coup. Que faut-il donc alors de plus, pour que cette situation décrive quelque chose qui arrive à la perception de la durée?

 

Chap.4 représentation

Je me rappelle à nouveau, ce qu'écrivait Vernant (1985) " 1° Simonide aurait perfectionné l'alphabet et inventé des lettres nouvelles permettant une meilleure notation écrite ". Alors qu'en ayant joué à deux (blanc et noir), nous n'avons pu établir qu'une notion seulement, une idée, du Temps. De sorte que ces cartes noires ou blanches étaient formulées comme une écriture.

C'est ainsi que la Cybernétique de Lacan (1966) - qui opère comme la Psychanalyse, et qui rejoint l'Ecologie - formule le jeu varié de modules à trois éléments [fig.8 & 9]. Témoins ces schémas où se manifeste " la liaison essentielle de la mémoire à la loi " qui ont charpenté ses études:

Figure 8,9, (le séminaire sur " la lettre volée ")

 

 

La mémoire est assujettie au futur en tant qu'une répétition circule à partir d'une identité ou d'un lieu (1), le système ressortira toujours vers le (2). De même depuis (3), quoiqu'il fasse, sortira toujours vers le (2) et n'aura rien appris, n'aura gardé aucune mémoire de son événement. Par contre si le (2) circule, effectue une rotation de 2 à 2 (puisque de 3, une rotation l'a ramené à 3 jusqu'à ce qu'un jour il échappe de la répétition de 3 à 3 pour revenir sur le trois pour échapper donc vers le 2) si le cycle se répète du 2 au 2 et si un autre cycle s'effectue ainsi tel que cette grande boucle marque en fait deux tours - deux répétitions du 2 - il s'en suit que s'il sort par ici, du fait d'avoir fait un nombre impair de tour - soit un, une répétition, soit trois, cinq, sept... s'il sort ici il retrouvera le 1 - tandis que sortant ici, c'est le 3 qu'il retrouverait ; de sorte que l'issue " 1 " ou " 3 " indiquera que le système 2 aura effectué un nombre pair ou impair de tour. C'est bien la sortie ou l'issue qui aura indiqué ou qui aura produit une mémoire dans le phénomène.

Ainsi, la cybernétique s'essaie, s'impose enfin par ces schémas que la théorie tente d'expliquer à posteriori. Ces deux schémas d'artifice sont comme les feus d'artifice. Ils en montre beaucoup pour peu de chose ou des choses plus simples qu'elles n'en paraissent.

Par ces diagrammes et ces formules nous affirmons que nous n'aurions de conception du temps qu'en collectivité. Pour rassembler nos idées et en comparant la situation décrite par la mémoire comme un mécanisme d'inhibition - avoir la perception du temps, nous déplace dans un système plus complexe: plutôt qu'une inhibition nous comptons deux composantes (voire trois) - la première est celle que nous appellerons maintenant "méditation" (il s'agissait de la première l'hésitation indéfinie des deux joueurs) suivie de celle que nous appellerons effectivement "hésitation" (l'hésitation effective, écrite avec le 3em, observateur quand il se reconnaît en celle des deux autres); pour conclure et troisièmement, ces deux termes s'achèvent dans une " décision ", à l'appui d'une écriture (d'un diagramme ou d'une Lettre). Une "décision" où les 2 termes précédents se retrouvent, refoulés - en termes freudiens (le premier et le second se partageant les types primaire et secondaire du refoulement). C'est ainsi qu'une Cybernétique formule la perception de la durée.

Je rejoins ici mon troisième site d'action défini plus haut. Nous voyons à quel point ce mécanisme de l'écriture est important dans la perception de la durée. Parfois il transparaît dans un symptôme: en réunion d'équipe, il arrive que des soignants éprouvent un besoin d'écrire. Ca peut être manifeste jusqu'à la compulsion. Ce n'est que dans une certaine mesure, le signe de l'intérêt que l'on prend au discours. C'est certainement autant la mise en scène de la partition de la mémoire que de la perception de la durée dans la Conception du Temps.

Au principe de cette pratique en C.A.T.T.P, un groupe " groupe " dans une pièce, tandis que ses membres, des enfants, tour à tour s'extraient, pour un entretien avec un psychiste dans une pièce voisine. On peut montrer que cette pratique ajoute à l'entretien individuel, un ordre sériel [fig.6, 3] d'observations, spécifique et propre à la mémoire du psychiste de chacune des séances - tandis que dans la pièce du groupe opèrent les effets sociologiques du moins-un de la Cybernétique lacanienne [fig-6, -1].

Cet espace, au-delà du miroir, dans la version contemporaine de la caverne n'est donc pas I' extérieur. Comment le nommer ? Le mot "dehors" convient assez bien - c'est aussi en tant que hors qu'il a été désigné dans ce travail, comme celui de ma pratique suite à un traumatisme crânien.

Pourquoi aujourd'hui pouvons-nous écrire et décrire la collectivité avec des formules cybernétiques? Pourquoi aurions-nous une vue nouvelle ou, plus claire qu'avant, de la Société et de l'histoire? Ou bien plus simplement, n'est-ce pas parce que de fait - de facto - se trouvent actuellement, ici et là, des appareils cybernétiques, et qu'à elles seules, leur présence et leur fonction, imposent un déssillement (avec sa nécessité d'écrire) ?

La structure de la mémoire peut s'illustrer en forme de quatre espaces dont la place du leader hypnotisé - avec en vis à vis la série des individus hystériques de la foule. Cette quadrature montre le leader représentant les lois de l'histoire. Mais actuellement l'appareil cybernétique vient à cette place. Lorsque l'appareil cybernétique arrive au niveau de l'intelligence artificielle il remplace les Lois de l'histoire. Il n'y a pas de Maître en effet qui puisse représenter l'appareil cybernétique. En revanche ce qui le représente exactement, c'est le Savoir Collectif.

 

 

CONCLUSION 

 

Il est temps pour moi de conclure. Depuis mes années d'éducations spécialisées au monde virtuel d'Internet véhiculant un savoir collectif la question thérapeutique n'a de cesse de me harceler. Si l'univers de la psychose remplissait mes premiers dossiers, aujourd'hui le groupe vient préciser mes interrogations épistémologique et clinique du soin. Ainsi, entre le temps et ce nouvel espace, mon corps semble avoir son mot à dire. Mon " extraction " accidentelle me laisse las, comme s'il préférait maintenant le silence et l'attente de l'écoute à l'agir de la parole et de l'action.

L'histoire de ma pratique en pédopsychiatrie m'a fait côtoyer et rencontrer des acteurs du soin de Pinel à Graber Hochmann ou Misés, des livres au terrain. Le soin pour enfants malades ne se contente pas d'une simple application. La psychanalyse depuis Freud nous autorise et nous impose l'invention et la réflexion : l'espace transitionnel de l'illusion nécessaire. La pathologie est aussi vivante que l'humain. Elle s'adapte et évolue avec son temps. Il nous faut sans cesse chercher et réfléchir nos cadres de travail. Il s'agit de repousser plus loin et plus fort ces nouvelles formes de mal être.

Les C.A.T.T.P sont de nouveaux outils thérapeutiques ou l'on peut penser le soin groupal pour enfants. Cette application thérapeutico-juridico-sociale énonce les principes fondamentaux de l'hôpital psychiatrique pour enfants de demain. Le soin groupal à temps partiel hors les murs de l'asile, entre l'école la famille et l'hôpital. Pour être au cœur excentré de la citée, les banlieux comportent les interrogations épistémologiques et thérapeutiques de notre temps. Les pathologies infantiles véhiculent avec elles, les modes de soin d'une psychologie collective. Parti d'un C.A.T.T.P., de retour avec un trauma, j'ai découvert à ma manière les effets d'une extraction, enrichi d'un entre-temps au cours duquel une correspondance " plurielle " - au sens quantitatif et polymorphe - via Internet m'a invité à emprunter les champs collectifs du savoir, historique, philosophique et sociologique. Depuis la caverne de Platon jusqu'au stade miroitant de Lacan, je me suis efforcé de montrer l'importance de l'extraction dans ma pratique en évitant toutefois l'éloignement de la clinique garantissant le fondement de mon articulation théorique.

La pratique me pousse d'avantage à considérer le silence de l'interprétation à la " violence de l'interprétation ". Rassembler, collecter, réaliser et organiser un fil, une série ordonnée et chronologique de significations. Ce que réalise cette " extraction sérielle ", la série des " moins-un ", est quelque chose que l'on pourrait appeler un chiffrage, analogue à ce que l'on observe de la fonction d'un code en société comme en génétique. Qu 'en serait-il alors de l'interprétation dans le soin? Jusqu'à présent on la savait incalculable, avec le " moins-un " dans le groupe. Celle-ci opérerait-elle toute seule ? Si je reviens un instant encore dans mon groupe au C.A.T.T.P j'aurais le souhait de me demander quel risque la thérapeutique prendrait-elle alors à ce que ces extractions distributives d'enfant du groupe s'organisent de façon régulière et automatique ? Si ces extractions faisaient parties intégrantes du cadre de soin groupal en devenant ainsi un automatisme ? L'analogie s'impose alors avec la situation classique de la cure psychanalytique individuelle où le transfert caractérise cette répétition thérapeutique. Avant que la pratique ne garantisse cette hypothèse, rappelons-nous cet autre domaine, plus large et plus social où l'automatisme a déjà été imposé par les ordinateurs, la technologie de l'information, la cybernétique, les systèmes experts et bientôt l'intelligence artificielle.

La psychologie cognitive serait-elle en mesure d'appliquer une thérapeutique adaptée à la collectivité ?

 

 © Tony Navalon  - Mai 2000 -

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