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Jean Pic de la Mirandole |
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Biographie en
résumé Philosophe et
universitaire de la Renaissance italienne
(1463-1494).
«Troisième
fils d'une vieille famille comtale, Jean Pic naquit le 24 février
1463 au château de Mirandole. Suite à la mort prématurée de sa mère,
il hérita très jeune d'une fortune considérable qui allait lui
permettre bien des voyages, bien des libertés et bien des
extravagances.
D'abord
inscrit à l'Université de Bologne pour des études en Droit canon —
sa mère le destinait à la prêtrise — il renonça bien vite aux
diplômes universitaires pour devenir autodidacte. Il séjourna aussi
à Ferrare avant de s'établir à Florence. II mourut le 17 novembre
1494, alors que le roi de France entrait à Florence. Jean Pic de la
Mirandole décéda, assisté en ses derniers instants par Savonarole
qui voyait dans la victoire des troupes françaises la réalisation de
ses prophéties...
Cette
mort mystérieuse, emportant en moins de deux semaines un homme dans
la force de l'âge, a fait croire à un empoisonnement dont le
secrétaire de Pic aurait été l'auteur. Ce personnage, cupide et fort
louche au demeurant, aurait été soudoyé par Pierre de Médicis, qui
n'aurait jamais pardonné au protégé de son père d'avoir pris le
parti de Savonarole ou, du moins, de s'en être ostensiblement
rapproché. Venant de Pierre de Médicis, la chose n'est pas
impossible, mais dans ce cas, sa hargne mesquine lui aurait fait
commettre une lourde erreur politique. Seul Pic, en effet, aurait pu
ramener le dominicain à plus de raison et lui faire éviter les
outrances qu'il allait commettre...»
LOUIS VALCKE, "Pic de La Mirandole",
L'Agora, vol 1
no 7, avril 1994 |
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Source: Thoemmes
Press Gallery
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Vie et
oeuvre Jean Pic et sa
légende Par
Louis Valcke, Université de Sherbrooke,
Québec
Le pauvre
homme n’était plus guère qu’un nom, au demeurant quelque peu
ridicule, que l’ironie voltairienne, croyait-on savoir, avait un
instant tiré de l’oubli. Cependant, au siècle dernier, Jacob
Burckhardt et Jules Michelet «inventèrent» la Renaissance, et Jean
Pic allait lui aussi renaître. À condition, cependant, de se
conformer à ce que l’histoire attendait de lui. Il fallait donc
qu’il ait été signe et ferment de renouveau, qu’il ait eu
l’intuition des choses à venir et des mentalités nouvelles, bref,
qu’il se soit fait le prophète inspiré de nos modernes
émancipations.
Or, et
pour son malheur, Jean Pic avait écrit une des plus belles pages de
la littérature néo-latine, ce «très élégant discours» auquel la
postérité allait donner le titre évocateur de Discours sur la
dignité de l’homme.
Écrit
en un style éloquent, faisant appel à toutes les ressources de la
rhétorique la plus noble, parsemé de réminiscences classiques
d’autant plus subtiles qu’elles sont, pour la plupart, suggérées
seulement ou évoquées comme en passant, le Discours est d’une très
belle venue, et, même en traduction, il conserve quelque chose de
son «punch» premier.
Burckhardt lui-même y voyait «un des plus
beaux legs de cette période de haute culture», et lorsqu’il voudra
évoquer par un texte ce qu’il pensait être l’«esprit» de la
Renaissance italienne, c’est au Discours qu’il se référera, mais de
ce texte aux multiples facettes, il ne retiendra que les paroles par
lesquelles le Créateur, s’adressant au premier homme, lui confère le
privilège de la liberté. Le paragraphe est bref, il deviendra
célèbre, il mérite d’être cité:
Je t’ai placé au milieu du
monde afin que tu puisses plus facilement promener tes regards
autour de toi et mieux voir ce qu’il renferme. En faisant de toi
un être qui n’est ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel,
j’ai voulu te donner le pouvoir de te former et de te vaincre
toi-même; tu peux descendre jusqu’au niveau de la bête et tu peux
t’élever jusqu’à devenir un être divin. En venant au monde, les
animaux ont reçu tout ce qu’il leur faut, et les esprits d’un
ordre supérieur sont dès le principe, ou du moins bientôt après
leur formation, ce qu’ils doivent être et rester dans l’éternité.
Toi seul tu peux grandir et te développer comme tu le veux, tu as
en toi les germes de la vie sous toutes ses
formes. On devine la
suite: à partir de ce bref passage, souvent cité, mis en exergue,
tronqué et détaché de tout contexte, on crut découvrir dans
l’Oratio de hominis dignitate
la quintessence de la pensée
de Pic, la proclamation de sa doctrine, sinon même, comme on l’a
prétendu, le symbole et le manifeste de l’humanisme rinascimental
tout entier: vision prométhéenne de l’homme libre, maître de son
destin, désormais seul responsable de son devenir et de ses choix.
On n’hésitera pas, au besoin et à l’occasion, à donner aux
traductions les quelques coups de pouce nécessaires pour rendre les
textes plus conformes à cette attente et, dès lors, Jean Pic devint
l’idéal exemplaire, le prototype de l’humaniste du Quattrocento, et
cette fonction paradigmatique fera désormais partie de son
mythe...
Burckhardt avait
lu le Discours, il en avait déterminé le sens et la portée:
désormais classé, répertorié, étiqueté, le Discours avait trouvé sa signification canonique et
c’est chargé de cette signification qu’il allait prendre place dans
l’anthologie moderne des textes sacrés, ceux que l’on vénère sans
les lire. D’où, dès le début de l’historiographie de Jean Pic de la
Mirandole, une dangereuse distorsion. C’est que Jean Pic a écrit
encore bien autre chose que sa célèbre Oratio. Soyons statisticiens: l’ensemble,
d’ailleurs incomplet, de ses Opera omnia, édité, avec une
biographie, par son neveu Jean-François, comporte plus de 730
folios. Or, de tout cela, sauf parmi les spécialistes, bien entendu,
cercle fermé de gens qui s’écoutent parler et qui n’ont que cela à
faire, on ne fait pratiquement jamais état. Qui donc a entendu
parler de l’Heptaplus, du De
ente et uno, de
l’Apologia? Tout au plus sait-on, parce que Képler en
parle, que Pic a écrit une critique de l’astrologie... À l’évidence,
une question s’impose: dans quelle mesure l’Oratio est-elle représentative de l’ensemble de
l’œuvre de Jean Pic?
Or,
on constate deux choses, la première étant que, quant à son contenu,
et malgré ce qu’on a pu en dire, l’Oratio ne propose aucune idée nouvelle. Certes, Pic
y donne de l’homme une conception grandiose et exaltante, mais c’est
la conception cosmocentrique ou théocentrique traditionnelle, qui
place l’homme au centre d’un monde déjà là. À partir de cet
«observatoire» — le mot est de Pic — l’homme a pour mission de
contempler l’ordre de l’univers. Sa liberté s’y déploie, mais c’est
une liberté d’acceptation, ou de refus, jamais ce n’est une liberté
de création. L’ordre des valeurs est inscrit dans l’ordre de la
nature et en découle. L’homme peut donc découvrir cet ordre, il ne
peut aucunement le modifier ni y substituer le sien propre. Dans ce
cadre et dans ces conditions, l’homme n’est pas et ne peut être à
lui-même sa propre loi; il n’est pas autonome. Somme toute, à lire
l’Oratio telle qu’elle se donne, on la trouvera
infiniment plus proche, par l’esprit qu’elle respire, de
Splendor
veritatis que de l’humanisme
sartrien!
Mais ce
contenu — banal pour l’époque — est présenté de façon
exceptionnellement prenante et convaincante: c’est ce qui fit la
gloire de l’Oratio. Or, et c’est là le second point qu’il faut
remarquer, par ce style de haute rhétorique précisément,
l’Oratio se démarque radicalement des autres œuvres
de Pic, qui ont toutes été écrites en une langue, certes correcte,
mais plus proche du style dit «de Paris», propre à la scolastique,
que du style précieux et recherché qu’affectionnaient les
humanistes. Voilà qui devrait nous mettre la puce à l’oreille,
d’autant plus que, à peine un an plus tôt, Pic avait écrit une très
longue lettre à Ermolao Barbaro, ce lettré qui, dans ses
traductions, poussait le souci de la langue jusqu’à épurer le style
d’Aristote lui-même! Pic, au scandale de son correspondant et de ses
amis humanistes, avait pris fait et cause pour les scolastiques,
même si ceux-ci écrivent en un latin «barbare», car en philosophie,
affirmait-il, seul importe le contenu, et le vrai philosophe jugera
indigne de soi d’enjoliver son discours par les attraits trompeurs
de la rhétorique. Et il faut souligner que pour illustrer ses dires,
Pic fait l’éloge de Duns Scot, en qui il voit un philosophe de tout
premier plan (même si, on le verra, il n’estime guère ses épigones).
Ce faisant, Pic savait fort bien qu’il heurtait de front les canons
littéraires des humanistes, le style du «Docteur subtil» étant
l’exemple même de ce qui les faisait frémir d’une horreur unanime.
Que Pic, donc, ait écrit
l’Oratio en un latin littéraire était conforme à
l’attente des milieux humanistes; que, par contre, après avoir ainsi
donné la preuve éclatante de sa parfaite maîtrise du latin
classique, il n’en ait pas moins choisi d’écrire ses autres ouvrages
en latin scolastique, voilà qui, surtout dans le contexte de
l’époque, est extrêmement révélateur. Suite à sa prise de position
dans sa lettre à Barbaro, c’était là une façon de dire qu’il ne
fallait pas prendre l’Oratio trop au sérieux, en tout cas pas à la
lettre, et que, par ailleurs, si on voulait trouver sa «vraie»
pensée, ce serait dans ses autres écrits qu’on aurait à la chercher.
Et Jean Pic se garde
bien de rejeter a priori la pensée médiévale, pour une simple
question de style. Il ne refuse pas de lire les scolastiques — ce en
quoi Valla, Érasme, Barbaro et les autres mettaient leur point
d’honneur. Il les a lus, même les plus «barbares» parmi eux,
«averroïstes» à Padoue, «calculateurs» à Pavie, «scotistes et
nominalistes» à la Sorbonne. Il les prend au sérieux, même et
surtout lorsqu’il les critique. Voilà qui était faire preuve de
non-conformisme, d’autonomie et d’audace intellectuelle, voilà ce
qu’aurait dû retenir sa légende — mais voilà précisément un des
points qu’elle en a effacés.
Le plus étonnant de toute cette affaire, et
là encore, il est rare qu’on le signale quand il est question du
Discours, c’est que, suite aux circonstances que l’on
verra, l’élégante Oratio, fruit de tant de soins, ne sera jamais ni
prononcée ni publiée du vivant de son auteur — ce qui n’empêchera
pas un éminent seiziémiste français de voir dans «le célèbre
discours de Pic de la Mirandole [...] comme la proclamation
urbi et orbi de l’avènement d’un monde nouveau où l’homme
prend conscience de son éminente fonction». Pour un discours qui, à
toute fin pratique et dans l’immédiat, resta lettre morte, voilà qui
est, pour le moins, inattendu. Mais telle est la puissance des
mythes...
Bien sûr,
Burckhardt n’est pas seul responsable, et la lecture sélective —
très sélective!— qu’il a faite des œuvres de Pic a seulement été le
noyau déclenchant autour duquel a pris corps le mythe mirandolien.
On savait que Jean Pic,
jeune, beau et riche, hôte adulé des plus nobles cours de France et
d’Italie, avait brillé de tous les feux de son génie avant que les
dieux, jaloux, ne missent prématurément fin à ses jours: il mourut
dans des circonstances restées mystérieuses alors qu’il n’avait que
32 ans. Quoi de plus romantique que cette mort injuste venant
faucher dans la force de l’âge un homme d’aussi grandes promesses?
On disait que Pic s’était adonné à la magie, qu’il avait fouillé les
arcanes de la Cabale et avait percé le secret des sciences occultes
et des traditions hermétiques. Et aussi et surtout qu’il s’était
rendu à Rome pour y affronter en un débat public les plus célèbres
docteurs de la Chrétienté. On savait aussi que le débat avait été
interdit et que, gloire suprême, plusieurs de ses propositions
avaient été condamnées comme hérétiques par un quarteron de
théologiens réactionnaires. Excommunié, il n’avait dû qu’à la fuite
et à l’exil d’avoir échappé à la vindicte pontificale. Comment
douter, dès lors, que Pic ne fut ce héros prométhéen, taillé à la
mesure d’un siècle de grandeur, de révolte et
d’orgueil?
Telle est la
légende de Pic; accumulant des faits pour la plupart véridiques,
mais déformés et magnifiés par le prisme de la mémoire comme par
l’expectative des historiens, elle donne de son héros une image
essentiellement fallacieuse, tout en oblitérant la place véritable
qui lui revient de droit dans l’histoire des
idées.
Essayons donc
d’évoquer un personnage plus réel. Nous retrouverons une parenté
entre Pic et nous, mais bien différente de celle qu’avaient cru voir
Marguerite Yourcenar et Jacob Burckhardt. Fasciné par le
néoplatonisme, il sera séduit par diverses doctrines ésotériques qui
rappellent celles de ce Nouvel Âge dont tant de nos contemporains
sont adeptes.
*******
Découverte du
néoplatonisme À Florence,
sous l’égide de Marsile Ficin, Jean Pic se laissera fasciner par la
lecture des Ennéades
de Plotin, découvrant ainsi
le néoplatonisme en l’authenticité de sa forme première.
À la fois mystique et
profondément intellectualiste, portée par une intention
essentiellement religieuse, la conception plotinienne semblait
répondre idéalement aux attentes de Jean Pic. Plotin lui-même, en
effet, n’avait-il pas souligné la continuité qui, d’hypostase en
hypostase, de la matière à l’Un, de l’homme à Dieu, relie les
différents niveaux ontologiques? C’est donc un Dieu proche et
accessible qu’il dévoile en sa doctrine; c’est tout autant un Dieu
de mystère car, situé au- delà de l’Être même, et donc au-delà de
toute compréhension humaine, Dieu est l’Ineffable. On comprend que
par ces deux facettes apparemment contradictoires, la doctrine de
Plotin ait toujours exercé un attrait extrêmement puissant sur les
âmes mystiques... D’autre part, tout entière fondée sur la notion de
participation (si vague, par ailleurs, et déjà critiquée par
Aristote!), cette doctrine prétendait fusionner la totalité du réel
en une unité organique, animée de part en part par les «affinités»
et les «sympathies». L’univers formait ainsi, au sens le plus
littéral du terme selon Plotin, un être vivant, cet «animal
cosmique», au sein duquel se tissait le réseau des équivalences:
équivalence de chose à chose, mais aussi de chaque chose à son
symbole, à ses représentations, à ses dénominations. En cette vision
poétique de l’univers, les sciences «occultes» — occultes parce
qu’elles supposaient la réalité et l’efficacité physique immédiate
de relations et d’interactions transphénoménales — semblaient
recevoir une justification rationnelle. C’est ainsi que
l’astrologie, par exemple, et les magies incantatoires trouvaient
une place «naturelle» au sein de la cosmologie plotinienne. D’où
l’immense attrait que celle-ci a pu exercer — et exerce encore! —
sur les esprits que désoriente l’abandon des anciennes certitudes.
Sans doute Plotin lui-même prêchait-il une dure ascèse, tout axée
sur la lente et difficile purification de l’âme par la pratique
d’une recherche rigoureuse, mais ses épigones, s’autorisant des
traditions ésotériques les plus extravagantes et se réclamant
d’Hermès, d’Orphée et de Zoroastre, allaient faire une place de plus
en plus large aux pratiques magiques et théurgiques, laissant ainsi
miroiter l’espoir d’un contact immédiat avec l’au-delà: le
Nouvel-Âge est à portée de la main...
On comprend que le jeune Jean Pic, accueilli
en «héros» au sein de la brillante académie florentine, et baignant
dans l’atmosphère fébrile qui y régnait, se soit d’abord laissé
entraîner par cette commune exaltation: les spiritualités
instantanées offertes à nos contemporains sont du même ordre, et
connaissent un égal succès.
Et on comprend également — référence,
toujours, à nos contemporains — que Pic se laissera tenter par les
sciences occultes et les promesses inouïes qu’elles ne cessent de
semer, et sans doute a-t-il pu espérer, dans son enthousiasme
initial, que l’investigation de la magie lui donnerait comme une
confirmation a posteriori de la cosmologie néoplatonicienne et de la
métaphysique que celle-ci présuppose. Rien, cependant, n’indique
qu’il ait jamais lui-même tenté d’en faire l’expérience. Pic était
essentiellement un contemplatif, et si les fondements théoriques que
la magie recevait chez Plotin ont pu l’intéresser au plus haut
point, il semble qu’il ait toujours laissé à d’autres le soin d’en
faire la vérification empirique. De même peut-on aujourd’hui être
fasciné par l’efficacité de la pensée scientifique, tout en ne
s’intéressant qu’à la vision théorique qu’elle suppose et sur
laquelle elle se fonde.
*******
La «Dispute romaine» En mars 1486, après un séjour de plusieurs
mois à Paris qui couronnait son périple intellectuel, Pic est de
retour à Florence. C’est alors que, dans la splendide arrogance de
sa jeunesse — il a tout juste 23 ans — il conçoit le projet inouï de
convoquer en un vaste débat les esprits les plus doctes de la
Chrétienté, pour y discuter publiquement d’une longue série de
«thèses» couvrant tous les champs du savoir. Impatient d’atteindre
d’un coup aux plus hauts sommets de la gloire littéraire et voulant
donner à sa «disputation» une portée universelle, il décide que
c’est à Rome que le débat devra avoir lieu. Prétention puérile ou
geste de grand seigneur, il propose d’assumer les dépenses de ceux
parmi les docteurs que les frais du voyage
échauderaient...
La
plupart de ses contemporains ne virent dans ses thèses, au nombre
mystique de 900, que le vaniteux étalage d’une érudition
superficielle mâtinée d’une ridicule prétention à l’universalité.
C’est ainsi que naîtra cette légende tenace, à laquelle Pascal fera
allusion, selon laquelle Pic se serait fait fort de discourir de
omni re scibili
— «de toute chose
connaissable» — à quoi Voltaire ajoutera et quibusdam aliis — «et de quelques autres en plus»!
Tout cela devait aboutir
à l’excommunication de Pic par le pape Innocent VIII. Ordre fut
donné aux nonces apostoliques de mettre la main sur lui. Grâce à la
protection du roi et aux interventions efficaces de Laurent de
Médicis, Jean Pic, qui avait vainement tenté d’échapper à la
poursuite en fuyant en France, recouvre sa liberté et retourne en
Italie pour se fixer à Florence, où Marsile Ficin l’accueille par
ces jolis mots de bienvenue: «Sois heureux, mon Pic, tu seras
Florentin!».
Censure du
débat public par les autorités ecclésiastiques, autodafé des
Conclusiones, condamnation, fuite et exil de leur auteur:
autant d’éléments qui, à eux seuls, auraient suffi à assurer à Jean
Pic la couronne de martyr de la liberté et de faire de lui ce héros
de légende dont la critique post-burckhardtienne avait
besoin...
Allons voir
cela de plus près et notons immédiatement que, contrairement à ce
qu’aurait voulu cette légende, la grande majorité des théologiens
nommés par Innocent VIII se réclamaient de la via moderna. Ces théologiens «modernes», c’étaient ceux
que Pic regroupait sous l’appellation dédaigneuse de «scotistes et
nominalistes». Il les avait bien connus lors de son séjour à Paris,
où ils tenaient le haut du pavé.
À l’opposé de ces «modernes», et en nette
perte de vitesse par rapport à eux, il y avait les tenants de la via
antiqua, qui, eux, se réclamaient de S. Thomas. Or, en tout ce qui,
de loin ou de près, touchait à la scolastique, Pic montrait une
nette préférence pour les orientations thomistes. Si donc nous
voulons appliquer nos schémas d’aujourd’hui pour juger des conflits
idéologiques du XVe siècle, il faudrait dire que les juges qui
condamnèrent Pic représentaient la théologie d’avant-garde, tandis
que Pic lui-même faisait figure de conservateur.
*******
Critique du néoplatonisme et retour à
Aristote L’échec de la
dispute romaine, dont Jean Pic avait espéré tant de gloire, avait
été total; aucun docteur ne s’était déplacé pour l’entendre, ses
Conclusiones avaient été jetées au feu et il avait dû
rempocher son élégante Oratio. Il y a de quoi secouer un homme: pour Jean
Pic, ce sera l’occasion d’une profonde remise en cause de ses
attitudes fondamentales.
Dans son De ente et uno, paru en 1491, Pic
aura l’audace, contre Ficin lui-même et contre l’opinion du
Magnifique, de critiquer la thèse fondamentale de toute la tradition
néoplatonicienne, qui voulait que «l’Un soit supérieur à l’Être».
Nier la primauté de
l’Un, c’était atteindre le néoplatonisme dans ses œuvres vives,
c’était, surtout, rejeter cette «vision globalisante» qui avait
fasciné les esprits les plus éclairés de l’époque, qui avait fasciné
Pic lui-même, mais dont il avait maintenant pris la mesure et
compris les implications.
Car l’attrait de cette vision sublime se paye
d’un prix très lourd. Si, en effet, l’unité prime sur toute
différenciation — c’est ce qu’implique la thèse néoplatonicienne —,
si, comme l’affirmait le vieil adage «tout est dans tout» et que,
par le jeu des affinités, s’établit le règne des équivalences, les
distinctions de chose à chose s’évanouissent, mais aussi les
distinctions entre les différents plans du réel. Comment, dans ce
cosmos intégralement sacralisé, pouvoir encore distinguer entre
nature et surnature, entre l’ordre du sacré et l’ordre du profane,
entre cause première et causes secondes? Et telle était, sous
l’influence du néoplatonisme, cette représentation «orphique» de la
Nature, si caractéristique de l’humanisme italien du Quattrocento,
qui, pendant un temps, marquera les forces vives de la pensée
occidentale. Par rapport à la tradition aristotélicienne, cette
représentation, essentiellement animiste et vitaliste, apparaît
comme une régression en ce qui concerne la conception que l’homme se
fait de lui-même, de sa relation au monde et de la cosmologie
qu’elle suppose.
C’est
par cette critique que le De ente et uno marque un tournant
fondamental dans la démarche de Jean Pic, qui en revient alors à un
discours beaucoup plus sobre et mesuré où il réaffirme, avec un
souci de rigueur renouvelé, la nécessité d’établir des démarcations
claires entre les différents ordres de la
réalité.
Rien ne témoigne
mieux de ce revirement que les douze livres des Disputationes
adversus astrologiam divinatricem, radicale critique de l’astrologie
à laquelle, après le De ente, Pic consacre toutes ses énergies.
Resté inachevé, ce monumental ouvrage sera publié par Jean-François
après la mort de son oncle.
Les Disputationes sont d’autant plus
significatives que Pic englobe dans sa critique, mon seulement
l’astrologie en ses multiples aspects, mais l’ensemble des sciences
occultes - magie, géomancie, nécromancie... - ces «superstitions»,
comme Pic les appelle maintenant, qui s’effondreront d’elles-mêmes
lorsqu’il aura détruit l’astrologie, leur «maîtresse et
reine».
Prenant soin de
souligner que la science grecque ne doit rien aux soi-disant
révélations égyptiennes ou chaldéennes, mais qu’elle est «tout
entière basée sur le raisonnement le plus solide et la démonstration
la plus rigoureuse», Pic confond en un même dédain ces traditions
ésotériques qui, aux temps de l’Oratio, lui avaient inspiré tant de pages
enthousiastes. Dérision suprême, Hermès lui-même n’y est plus
désigné que sous l’appellation méprisante d’«un certain Égyptien du
nom d’Hermès» tandis que Zoroastre, ce «prince des Mages», est
couvert de ridicule pour n’avoir pas été capable de prédire sa
propre défaite dans la bataille qui allait l’opposer à Ninus, où il
devait perdre la vie.
Nulle part cependant la métamorphose
intellectuelle que Pic a subie n’est-elle plus apparente que
lorsqu’il parle du rapport qui lie les ordres naturel et surnaturel.
Pour le néoplatonisme,
il faut le répéter, tout événement, qu’il soit céleste ou terrestre,
se transmet par affinité ou par résonance sympathique à tous les
échelons du réel, qui s’affectent donc toujours réciproquement et
les ordres, céleste et terrestre, naturel et surnaturel, fusionnent
dès lors en une continuité telle qu’il devient impossible de trouver
quelque critère clair qui permettrait de les distinguer. Or, c’est
précisément l’idée même d’une telle continuité que Pic critique
radicalement dans ses Disputationes, dont un chapitre affirme
explicitement que:
Les divins miracles ne
sont ni causés, ni signifiés par [les astres], mais les événements
miraculeux sont signifiés par des événements miraculeux, de même
que les choses naturelles sont indiquées par d’autres choses
naturelles. Ce
retournement radical par rapport au monisme implicite du
néoplatonisme signale que Pic, maintenant, a mesuré la pleine portée
métaphysique de la doctrine de Plotin. Déçu, il a abandonné le
sublime espoir qu’elle faisait miroiter et il ne croit plus que
l’âme humaine puisse, «dès ici-bas», s’unir à son Principe grâce à
la pratique d’une ascèse intellectuelle. L’ordre de la raison n’est
pas l’ordre de la foi et il n’est pas donné de passer graduellement
de l’un à l’autre.
Pic
aboutit ainsi aux conclusions qui furent déjà celles de la
scolastique tardive. Lien avec le passé, sans doute, mais également
présage de l’avenir puisque l’on voit déjà poindre ce dualisme
radical, qui, peut-être, préfigure celui de Descartes et relève sans
doute d’un même esprit: ici, dans ce sens limité mais essentiel, il
est sans doute légitime de voir en Jean Pic un précurseur de
modernité.
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Les dernières années Innocent VIII décéda en juillet 1492, et son
successeur Alexandre VI Borgia accorda à Jean Pic le Bref
d’absolution pleine et entière.
Cette absolution tant attendue fut la seule
joie de ses dernières années, qui furent pénibles, et marquées de
deuils douloureux. Le 8 avril 1492, Pic perdit en Laurent de Médicis
un protecteur fidèle, un admirateur intelligent, un mécène
désintéressé. Pierre succéda au Magnifique, mais il s’avéra bientôt
que le fils n’avait hérité d’aucune des qualités paternelles, et
bientôt, par ses sermons enflammés, Savonarole allait ameuter la
population contre ce prince velléitaire, en qui il voyait le symbole
de la décadence morale de son temps. Ce fut en témoin désolé que Pic
assista impuissant à l’effondrement du rêve médicéen et à la
déchéance de la République florentine...
LOUIS VALCKE, "Pic de La Mirandole",
L'Agora, vol 1
no 7, avril 1994 |
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Oeuvres
de Jean Pic de la Mirandole Soyons statisticiens: l’ensemble, d’ailleurs
incomplet, de ses Opera omnia, édité, avec une biographie, par son
neveu Jean-François, comporte plus de 730 folios. Or, de tout cela,
sauf parmi les spécialistes, bien entendu, cercle fermé de gens qui
s’écoutent parler et qui n’ont que cela à faire, on ne fait
pratiquement jamais état. Qui donc a entendu parler de
l’Heptaplus, du De ente et uno, de l’Apologia? Tout au plus sait-on, parce que Képler en
parle, que Pic a écrit une critique de l’astrologie...
Liste des oeuvres de Pic de la Mirandole (Éditions de
l'Éclat)
De la dignité de l'homme. Texte latin et traduction française de Yves Hersant (Éditions de l'Éclat,
1993) |
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Documentation Bibliografia generale On trouvera, sur le site des Éditions de
l'Éclat, une brève bibliographie des études consacrées
à Pic de la Mirandole (en bas de page) |
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Documents associés |
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La
fausse érudition de Pic de la Mirandole Voltaire
Genre de texte: Passage Secteur:
Sciences Discipline: Histoire
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Sujet: Érudition, kabbale, astrologie,
Renaissance
Extrait: «On dit qu'a l'âge de
dix-huit ans, il savait vingt-deux langues. Cela n'est
certainement pas dans le cours ordinaire de la nature.
Il n'y a point de langue qui ne demande environ une
année pour la bien savoir.»
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Date de
naissance 24
février 1463 Lieu de naissance Mirandole |
Date de décès 17 novembre 1494 |
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À lire également sur Pic de la Mirandole dans L'Encyclopédie |
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