Alan Turing 1950 - Les Ordinateurs et l'Intelligence

 

Section 2 Section 3
Les machines pouvant prendre part à ce jeu
Section 4

Cybernétique et Psychanalyse

- - - - - - - Une lecture par DWT pour une étude des Temps Présents - - - - - - - 


Caractère psychologique de la machine de Turing


 

    La troisième section de l'enquête continue à cerner les contraintes de l'expérimentation :
A présent qu'une machine a été mise à la place d'un être humain dans le jeu de l'imitation, le moment est venu de fixer ce que peut être cette machine.

   Aujourd'hui nous pensons immédiatement à un ordinateur, mais toutes sortes de choses sont à priori envisageables ; à tel point que Turing estime la plus globale éventualité - on peut définir une machine comme tout et toutes choses qui ne soient pas un être humain né dans des conditions normales. En effet, il sait déjà en 1950 qu'un être humain cloné pourrait être conçu, plus ou moins robotisé ; il inclut donc les chimères bioniques dans la possibilité des machines de l'expérience.

   Conscient de ces innombrables prétendants et sans même exclure qu'il soit possible que l'être humain ne comprenne pas lui-même tout le fonctionnement d'une telle machine, il prévient de sa décision de choisir parmi ce que son époque offre de nouveau et inédit. Il justifiera après-coup que ce soit un ordinateur qui soit le mieux adapté à l'expérience.

 

   En faisant ce choix Turing se fabrique lui-même un problème ; puisque par soucis de méthode il impose à sa spéculation théorique des éléments physiques et contemporains, il est immédiatement sommé d'affronter leur expérience. Il n'est pas constant en mathématique que la confrontation aux faits soit exigée ; Turing esquive la question en prenant acte de la relative immaturité de l'informatique à son époque et en s'appuyant sur la tolérance à la rigueur qu'on puisse raisonner à partir d'ordinateurs imaginables. Cependant au jour de la présente lecture, je dois estimer que cette solution n'est plus jouable car l'expérience a eu lieu. Nous sommes donc dans un autre rapport que celui que Turing observait. Cependant, si elle a eu lieu, nous n'en connaissons pas les résultats. Le fait que leur publication soit interdite nous propulse nous seulement dans un rapport plus avancé que Turing, mais de surcroît dans un rapport renversé. Pour cela, la Cybernétique a avancée et prépose pour accueillir ce renversement, ce qui a été nommé la Seconde Cybernétique dont ici un schéma :


fig. de la machine non-triviale, selon la Seconde Cybernétique de H.V.Foerster

 

   Cette 'Cybernétique de second ordre' permet d'introduire, dans l'expérience de Turing, ce que peut être l'humain. Force était de constater que, déjà en difficulté sur la définition de la "machine", Turing ne s'était pas encombré de celle de l'humain - c'est à dire qu'il avait ignoré les caractéristiques psychologiques de l'organisme pensant qu'il opposait à l'appareil. intelligent. Mais évidemment si déjà il est dans ses lois de fonctionnement de règle que l'être humain (censé aider l'observateur dans l'expérience) est lui-même organisé suivant une structure de mensonge - ce facteur doit être intégré ; d'autant qu'il en est un autre encore plus incisif dans la réalité de l'expérience, à savoir qu'à la structure qu'il mente il faille ajouter que l'humain en sa nature imite la machine.

   Voici ce qu'écrit Harold Von Foerster :
    « Au cours des siècles, les médecins et les philosophes n'ont pas cessé de développer des théories du cerveau. Alors qu'y a-t-il de nouveau dans les efforts des cybernéticiens d'aujourd'hui? Ce qui est nouveau, c'est qu'on a pris profondément conscience que pour écrire une théorie du cerveau, il faut un cerveau. Il s'en suit que si une théorie du cerveau a quelque prétention à être complète, elle doit expliquer sa propre écriture. Plus fascinant encore, celui-là même qui écrit cette théorie doit rendre compte de son écriture. Transporté dans l e domaine de la cybernétique : le cybernéticienne, en entrant dans son propre domaine, doit rendre compte de sa propre activité ; la cybernétique devient la cybernétique de la cybernétique, ou cybernétique du second ordre. »

   Nous avons dans cette description de la nécessité du second ordre les deux composants que la psychologie impose d'introduire dans l'expérience de Turing. D'abord l'explication de sa propre écriture - il s'agit du rapport à la Lettre établissant dans le mensonge la psychologie humaine. Deuxièmement le compte rendu de son écriture , ceci étant l'imitation (de la machine par l'humain). La schématisation de Foerster est propice jusqu'à offrir une plate-forme de désignations de ces contraintes : Z la présence de l'humain/cerveau, z' et z celles de l'explication et/ou de l'imitation.

 

   A la 3em section, où Turing interroge quel type de machine, à sa réponse d'informaticien, il faut ajouter avec le psychologue : machine de type ordinateur avec participation de l'humain en son mécanisme, voire en sa conduite - ce qui n'est pas renoncer à l'expérience et à la nécessité de garantir l'inhumanité de la machine qui prévient d'une confusion et dérive type cyborg. Cette participation humaine sera probablement 'sociale' (puisque précisément la société doit également être inhumaine pour éviter les confusions du fascisme type idéologie "âme des foules") et techniquement algorithmique. En l'occurrence il s'agit du facteur indiqué 'Z' par Foerster coïncidant en écriture avec la rotation de la lettre N (qualifié psychologiquement de ' facteur Nous ' et typiquement cité par Lacan en vertu de position rotative de l'algorithme de la pensée (schéma Z et N de l'Inconscient et son interprétation)

 

  

en Résumé :

Pour identifier la machine opposable à l'être humain pour tester si elle pense - et en choisissant l'ordinateur comme la meilleure hypothèse - il semble qu'on exclut nécessairement l'humain aux commandes ou comme partie de cette machine. Cependant on se rend compte que cette exclusion est fictive puisque peu ou prou il l'aura, ne serait-ce que construite, et donc sera intervenu dans son fonctionnement. Mais il y a un second motif (beaucoup plus saisissant) de débouter cette exclusion : le fait qu'au niveau de sa nature, l'être humain soit, constitutionnellement, un imitateur de la machine implique que ce serait une erreur de concevoir qu'une machine ne soit pas habitée par une personne humaine - toutefois (pour n'être pas dans l'erreur opposée où la présence humaine annule la distinction de la machine) habitée.. par un des modes d'identité dont la psychologie humaine montre qu'elle est multimodale (réelle, symbolique, imaginaire).

(notre problème devient donc à présent la connaissance de cette insertion de modalité - facteur N>Z )

  

  


Annexes

a)

Vers    Réflexions / Littérature Grise   DWT

 

b)

 Source : les ordinateurs et l'intelligence

texte original de Turing section 3
traduction Patrice Blanchard

 

3. Les machines pouvant prendre part à ce jeu

La question que nous avons posée dans la section 1 ne sera totalement définie que lorsque nous aurons spécifié ce que le mot « machine» signifie. Il est naturel que nous souhaitions permettre l'utilisation, dans nos machines, de n'importe quel type de technologie. Nous voulons aussi accepter la possibilité qu'un ingénieur, ou une équipe d'ingénieurs, puisse construire une machine qui fonctionne, mais dont les modalités de fonctionnement ne peuvent être décrites de manière satisfaisante par ses constructeurs, parce qu'ils ont appliqué une méthode en grande partie expérimentale.
   Nous souhaitons enfin exclure de la catégorie des machines les hommes nés de la manière habituelle. Il est difficile d' élaborer des définitions qui satisfassent à ces trois conditions. On pourrait, par exemple, requérir que les ingénieurs soient tous du même sexe, mais cela ne serait pas vraiment satisfaisant, car il est probablement possible de créer un individu complet à partir d'une seule cellule (disons) de la peau d'un homme. Le faire serait un exploit de la technique biologique méritant les plus hauts éloges, mais nous ne serions pas tenté de le considérer comme un cas de « construction de machine pensante ». Ce qui nous pousse à abandonner l'idée d'accepter toutes les techniques. Nous sommes d'autant plus disposé à le faire que l'intérêt actuel pour les « machines pensantes» a été soulevé par un type particulier de machine, habituellement appelé «calculateur électronique », ou «ordinateur », A la suite de cette suggestion, nous n'autoriserons que les ordinateurs à prendre part à notre jeu.
   Cette restriction semble être, à première vue, très rigoureuse, j'essaierai de montrer qu'en réalité il n'en est rien. Pour ce faire, un bref exposé sur la nature et les propriétés des ordinateurs est nécessaire. On peut dire aussi que cette identification des machines aux ordinateurs de même que mon critère de la «pensée» ne seront inadéquats que si (contrairement à ce que je crois) il se trouve que les ordinateurs sont incapables d'obtenir de bons résultats dans le jeu.
   Il existe déjà un certain nombre d'ordinateurs en état de marche, et l'on peut se demander: «Pourquoi ne pas tenter l'expérience tout de suite? Il serait facile de satisfaire aux conditions du jeu. On pourrait utiliser un certain nombre d'interrogateurs et recueillir des données statistiques pour montrer la fréquence selon laquelle la bonne réponse est donnée. » Nous dirons, pour répondre brièvement, que nous ne nous demandons pas si tous les ordinateurs obtiendraient des résultats satisfaisants dans le jeu, ni si les ordinateurs actuellement disponibles obtiendraient ces résultats, mais s'il existe des ordinateurs imaginables qui les obtiendraient. Mais cela n'est qu'une réponse rapide. Nous examinerons plus loin cette question sous un jour différent.

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